TRADUCTION AUTOMATIQUE

EXPERIENCES EN COURS AU VENEZUELA, EN EQUATEUR ET EN BOLIVIE.

Traits caractéristiques des expériences en cours au Venezuela, en Equateur et en Bolivie

TOUSSAINT Éric

En Amérique Latine, si l’on excepte Cuba, il y a en ce moment trois grandes catégories de gouvernements. En premier lieu, les gouvernements de droite, alliés de Washington, jouent un rôle actif dans la région et occupent une position stratégique : le gouvernement d’Alvaro Uribe en Colombie, Alan Garcia au Pérou et Felipe Calderon à Mexico. En deuxième lieu, les gouvernements prétendument « de gauche », qui poursuivent une politique néolibérale et soutiennent leurs bourgeoisies nationales ou régionales dans leurs projets : le Brésil, l’Uruguay, le Chili, le Nicaragua et aussi le gouvernement de Cristina Fernando Kirchner des péronistes argentins. Ce sont des gouvernements qui mènent une politique néolibérale favorable au grand capital teintée de quelques mesures d’assistance sociale. En effet, ils adoucissent un peu la pilule néolibérale en appliquant des programmes d’assistance. Par exemple, au Brésil, des familles pauvres reçoivent un peu d’aide du gouvernement, ce qui assure un appui populaire dans les régions les plus pauvres du pays.

Certains de ces gouvernements essaient d’améliorer leurs relations avec Washington, notamment en concluant des accords de libre échange avec les Etats-Unis. Le Chili en a signé un et Lula, au Brésil, cherche aussi un accord avec Washington autour d’une série de thèmes politiques. Mais en même temps, de fortes divergences d’opinion continuent à exister entre le gouvernement Lula et les Etats-Unis. Ces divergences concernent la défense des intérêts de la bourgeoisie brésilienne au niveau de l’agriculture et d’une série de secteurs industriels, en particulier les secteurs tournés vers les exportations qui n’acceptent pas le protectionnisme des Etats-Unis. Dans la troisième catégorie de pays se trouvent le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur. Ils doivent compter avec une opposition active d’importants secteurs de la classe capitaliste locale et de Washington. Cuba forme à lui tout seul une quatrième catégorie.

L’importance des mobilisations populaires…

Insistons sur la troisième catégorie de pays : le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur. Nous ne pouvons comprendre la politique de ces pays que si nous prenons en compte les très importantes mobilisations populaires qui jalonnent leur histoire récente. En Equateur, quatre présidents de droite ont été renvoyés à la maison entre 1997 et 2005 grâce à de grandes mobilisations de la population. En Bolivie, il y a eu une bataille importante contre la privatisation de l’eau en avril 2000 et à la fin de l’année 2004. Les mobilisations autour du gaz en octobre 2003 ont fait tomber et s’enfuir (vers les Etats-Unis) le président Gonzalo Sanchez de Lozada. Le Venezuela a connu dès 1989 d’importantes mobilisations qui inauguraient les grandes luttes sociales contre le Fonds monétaire international qui se sont développées à l’échelle planétaire dans les années 1990. Mais il y a encore eu plus spectaculaire avec les énormes mobilisations populaires du 12 avril 2002, manifestations spontanées de protestation contre le coup d’Etat pour renverser Hugo Chavez. Ces mobilisations ont eu directement pour effet le retour d’Hugo Chavez au palais présidentiel Miraflores le 13 avril 2002. Les grandes mobilisations populaires sont un facteur décisif dans l’existence et la survie des gouvernements au Venezuela, en Bolivie et en Equateur.

… et de l’adoption démocratique de constitutions nouvelles

Un deuxième point important est la révision de la Constitution. En 1999, durant le premier mandat de Hugo Chavez, une nouvelle Constitution démocratique a été adoptée par voie référendaire (elle avait été rédigée par une Assemblée constituante). Cette Constitution, toujours en vigueur aujourd’hui, a garanti davantage de droits culturels, économiques et sociaux à la majorité de la population. Elle a également instauré un mécanisme démocratique qui permet de révoquer à mi-mandat des élus à tous les niveaux (y compris le président de la République). L’adoption d’une nouvelle Constitution au Venezuela a inspiré ultérieurement les gouvernements de Bolivie et d’Equateur. La Bolivie a adopté une nouvelle Constitution en 2007 et, en Equateur, une Assemblée constituante élue en septembre 2007 est en train de rédiger un projet de nouvelle Constitution qui sera soumise à un référendum en septembre 2008. Ce sont effectivement des réformes profondes ! Ces changements politiques démocratiques en cours dans ces trois pays sont systématiquement passés sous silence dans la presse des pays les plus industrialisés et au-delà. Au contraire, une campagne de dénigrement est systématiquement orchestrée afin de présenter les chefs d’Etat de ces trois pays sous l’image repoussante de dirigeants populistes autoritaires.

Les expériences de ces trois pays andins, en terme d’adoption de nouvelles Constitutions, sont très riches. Elles devraient inspirer les peuples et les forces politiques des autres pays. Il suffit de comparer la situation en Europe avec l’absence de procédure démocratique en matière d’adoption du Traité constitutionnel. Bien sûr, les expériences en cours au Venezuela, de Bolivie et en Equateur sont aussi traversées par des contradictions et des limites importantes qu’il faut analyser. En Equateur, le processus de réforme en cours mobilise de larges couches de la population. Le président actuel, Rafael Correa, a été élu fin 2006 avec une grande majorité sans avoir un parti politique ou des parlementaires derrière lui. En dépit de la forte opposition de la droite et de tous les médias – en Equateur, il n’y a aucun canal public étatique de télévision et de radio –, Correa a gagné le referendum afin de convoquer une Assemblée constituante avec 82% des suffrages exprimés. Le mouvement politique que Correa a construit de manière improvisée dans le courant de 2007 a gagné plus de 70% des voix lors des élections à la Constituante. Si on y ajoute ses alliés, il bénéficie d’une majorité de plus de 80%. Il y a aujourd’hui en Equateur une Assemblée constituante à laquelle les mouvements sociaux sont invités de manière permanente, afin qu’on puisse mieux tenir compte de leurs propositions. De cette façon, la nouvelle Constitution pourrait être portée par une large majorité de la population. C’est donc un processus très ouvert et très intéressant. Nous connaîtrons le résultat final fin juillet quand le projet de nouvelle Constitution aura été adopté par l’Assemblée constituante afin d’être ensuite soumis aux électeurs fin septembre. Il est probable que le texte qui sera soumis aux suffrages sera critiquable sur plusieurs aspects (l’absence du concept de pluri-nationalité pour caractériser le pays –comme le demande les principales organisations indiennes-, l’absence du droit à l’avortement, l’absence d’interdiction des OGM).

En Bolivie, le processus de révision va de pair avec beaucoup plus de conflits. Le parti d’Evo Morales, le MAS, a bien gagné la majorité des parlementaires (55%), mais n’a pas la majorité des deux tiers. Cela complique la situation. Finalement, la nouvelle Constitution a été adoptée en décembre 2007 malgré les obstructions parfois violentes de la droite et des classes dominantes. Par la suite, la situation s’est polarisée à l’extrême à cause d’une mobilisation très agressive du camp réactionnaire. La droite est entrée en action avec une campagne raciste et la menace d’une séparation territoriale de la partie occidentale du pays où elle occupe une situation dominante. Cette agitation réactionnaire a réussi à empêcher jusqu’ici la tenue du referendum sur la nouvelle Constitution.

Retour au contrôle public sur les richesses naturelles

Un troisième point important : les gouvernements du Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur ont pris des mesures pour renforcer le secteur public et obtenir un contrôle des ressources naturelles. Au Venezuela, l’Etat a pris le contrôle de la grande compagnie pétrolière (PDVSA) qui, bien que publique, favorisait les intérêts privés et déclarait la plupart de ses revenus aux Etats-Unis. Cela ne s’est pas fait sans bataille et sans heurts. La classe capitaliste a organisé un coup d’Etat en avril 2002 suivi d’un lock-out qui a paralysé l’entreprise en décembre 2002-janvier 2003. Le Produit intérieur brut du Venezuela s’est effondré dans les premiers mois de 2003, mais finalement le gouvernement a repris la situation en main avec le soutien de la majorité du peuple. L’année dernière, l’Etat vénézuélien a aussi pu prendre en main le contrôle d’un important champ de pétrole, la falla del orinoco. Au Venezuela, les deux tiers du pétrole sont produits par l’Etat et un tiers par les grandes compagnies pétrolières. Mais aujourd’hui, le pétrole est exploité dans le cadre de nouveaux contrats négociés, où l’Etat décroche plus de revenus que précédemment. Il faut y ajouter d’autres nationalisations : la production et la distribution électrique, les télécoms (CANTV), la sidérurgie (SIDOR qui compte 15.000 travailleurs), le secteur du ciment, des entreprises de production alimentaire. Sans oublier la réforme agraire qui vise à donner la terre à ceux qui la travaillent. La Bolivie a nationalisé le pétrole et la production de gaz en 2006. Evo Morales a envoyé l’armée pour contrôler les champs pétroliers, mais les multinationales restent actives car ce sont elles qui extraient le pétrole et le gaz. L’Etat est bien propriétaire des richesses naturelles, mais ce sont les grandes multinationales qui exploitent le pétrole et le gaz. D’où l’importance stratégique des accords entre le Venezuela et la Bolivie qui permettront à la Bolivie de renforcer une compagnie pétrolière publique pour exploiter et raffiner elle-même le pétrole et le gaz. La Bolivie n’a pas de raffinerie, l’Equateur n’en a pas assez. La Bolivie et l’Equateur exportent du pétrole et importent du combustible et d’autres produits raffinés. Ici aussi, l’importance d’accords stratégiques entre le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie pour renforcer l’autonomie de ces deux derniers pays. Ce que le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur ont de commun avec la deuxième catégorie de pays (le Brésil, l’Uruguay, le Chili, l’Argentine), c’est une certaine politique de programmes d’assistance publique. Il ne s’agit pas de rejeter purement et simplement ces mesures, mais il faut absolument promouvoir la création des postes de travail, augmenter fortement les salaires, garantir davantage de droits sociaux et économiques pour les salariés, les paysans, les artisans, les vendeurs de rue, les retraités et autres allocataires sociaux. Le Venezuela et la Bolivie ont avancé dans cette direction mais il y a encore beaucoup de chemin à faire.

Equateur : Correa suspendra-t-il le paiement d’une partie de la dette ?

L’Equateur a pris une importante initiative concernant la dette publique. Rafael Correa a créé, en juillet 2007, la Commission d’audit intégral de la dette publique interne et externe (CAIC). C’est une commission composée de douze membres des mouvements sociaux et d’ONG d’Equateur, six membres de campagnes internationales pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (je fais partie de cette commission en tant que représentant du CADTM) et quatre délégués de l’Etat (le Ministère des Finances, la Cour des Comptes, la Commission anti-corruption et le parquet général). Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne parle pas ici de représentants de la société civile (ce qui inclut les associations patronales par exemple), mais bien de délégués des mouvements sociaux, comme le mouvement indigène (la CONAIE) et d’autres mouvements sociaux radicaux d’Equateur. L’idée de Correa et d’un secteur de son gouvernement est d’essayer de ne pas rembourser une partie importante de la dette publique. Si Correa réussit dans son intention, cela signifie une confrontation directe avec sa propre bourgeoisie nationale, parce que c’est la bourgeoisie équatorienne qui tire le plus grand profit du remboursement de la charge de la dette publique. Cela signifie également une confrontation avec les marchés financiers internationaux et avec la Banque mondiale. La droite du gouvernement et les grands groupes financiers, sans compter la Banque mondiale et les capitales des pays les plus industrialisés, exercent une forte pression pour convaincre le gouvernement de Correa de ne rien faire. Celui-ci devrait prendre une décision mi-juillet 2008 lorsque la CAIC remettra son rapport. Rien n’est garanti et il est possible que Correa décidera d’éviter l’affrontement.

Stratégie des Etats-Unis et des capitalistes locaux : confrontation et séparation

La stratégie des Etats-Unis et de la classe capitaliste locale est clairement axée sur la confrontation : le coup d’Etat contre Chavez en 2002, le lock-out patronal de décembre 2002-janvier 2003, la campagne des médias en Bolivie, en Equateur et au Venezuela contre le gouvernement. Mais le thème fondamental est une nouvelle stratégie de partage du pays. La classe capitaliste de Bolivie organise la séparation de la partie occidentale du pays. Ils appellent cela Media Luna avec Santa Cruz comme centre économique important. Les grands propriétaires terriens, les patrons d’entreprises d’exportation (notamment le soja transgénique) incitent la population à proclamer l’indépendance vis-à-vis de l’Etat national. Ils recourent à des actes racistes de manière régulière. Il faut dire clairement que la population de cette région riche ne constitue pas une nation qui aurait le droit à l’autodétermination. Le gouvernement répond à la droite qu’il est prêt à accorder une autonomie plus grande des régions mais pas la séparation, et dans ce cas-ci il a raison. En Equateur, le centre économique se trouve à Guayaquil sur la côte pacifique, tandis que Quito – qui est aussi importante économiquement – est la capitale politique située à 2800 mètres d’altitude dans la cordillère des Andes. La classe capitaliste de Guayaquil veut proclamer son indépendance sous la direction du maire local de droite. Au Venezuela, le gouverneur de l’Etat occidental de Zulia (qui a une frontière commune avec la Colombie) brandit la menace d’une séparation. Ceci constitue sans aucun doute une stratégie continentale consciente de Washington, qui essaie de soutenir la bourgeoisie capitaliste locale dans un processus de scission des pays qui vivent des expériences de gauche. Cela rappelle la politique de la Belgique, des Etats-Unis et d’autres puissances à l’égard de la province du Katanga en République démocratique du Congo. Rappelons-nous que les capitales occidentales avaient soutenu le séparatisme du Katanga contre le premier ministre Patrice Lumumba. Quand le dictateur pro occidental Mobutu a pris le pouvoir (après l’assassinat de Lumumba amené de force au Katanga et livré à ses pires ennemis), les grandes puissances ont abandonné le soutien aux séparatistes… Cela me semble un thème important, parce que certains au sein de la gauche considèrent ce partage des pays comme l’expression automatique du droit des peuples à l’autodétermination. Dans le cas de la Bolivie, c’est manifestement la réaction de la bourgeoisie capitaliste locale contre les droits de la majorité indienne de la nation. Par-dessus le marché, ils manient souvent un langage de droite raciste. Le maire de Santa Cruz, Percy Fernández, a déclaré le 9 décembre 2007 en commentant l’adoption par l’Assemblée constituante du projet de nouvelle Constitution : « Dans ce pays, bientôt, il faudra se peindre et se mettre des plumes pour exister ! » . Depuis lors, des ratonnades ont été organisées par ses partisans contre les Indiens qui constituent, faut-il le rappeler, la majorité de la population du pays et sont victimes depuis plus de cinq siècles de la domination exercée par l’Europe puis par ses descendants. La stratégie de Washington et de certaines capitales européennes comprend encore un autre aspect. Il s’agit du différend entre la multinationale ExxonMobil et la compagnie pétrolière nationalisée du Venezuela PDVSA, le différend entre Occidental Petroleum des Etats-Unis et PetroEcuador qui est une entreprise publique en Equateur, le conflit entre Telecom Italia et la Bolivie, etc. De grandes multinationales (sans oublier Petrobras du Brésil) s’opposent aux décisions des trois gouvernements de gauche de restaurer le contrôle public sur les richesses naturelles. Ces multinationales utilisent le tribunal de la Banque mondiale (le CIRDI, Centre international de règlement des différends liés à l’investissement) pour résoudre les différends concernant des investissements. Ils ont aussi recours à des tribunaux de commerce, comme le tribunal de commerce de Londres, d’Amsterdam ou de New York. Un conflit en matière de contrat risque d’éclater dans les mois qui viennent entre deux gouvernements latino-américains. En effet, le nouveau président du Paraguay qui prendra ses fonctions en août 2008, Fernando Lugo, a déclaré qu’il remettait en cause le contrat léonin imposé par le Brésil à son pays, du temps où les deux pays vivaient sous des dictatures militaires (le contrat Itaipu remonte à 1973). Effectivement, à l’heure où le prix de l’énergie augmente très fortement, le Brésil paie un prix ridicule pour l’électricité produite au Paraguay . Le Paraguay et le Brésil pèsent un poids économique totalement différent et le Paraguay a tout à fait raison s’il demande la révision du contrat ou son abrogation. Ce type de situation conflictuelle met en évidence la nécessité pour les pays d’Amérique latine de sortir du CIRDI, ce qu’a fait la Bolivie, et de créer un organisme latino-américain pour régler les litiges qui surgissent entre des Etats et des multinationales (qu’elles soient du Nord ou du Sud) ou qui opposent des Etats latino-américains les uns aux autres. Bien sûr, dans ce dernier cas, il faut d’abord chercher un accord bilatéral avant d’avoir recours à un organisme multilatéral.

Les Traités de commerce entre les peuples

En opposition aux traités de libre commerce que signent certains pays d’Amérique latine avec les Etats-Unis ou l’Union européenne, les nouveaux accords qui ont été passés entre les gouvernements du Venezuela, de la Bolivie et de Cuba méritent d’être soulignés. Citons par exemple les 20.000 médecins cubains qui vont travailler volontairement au Venezuela pour fournir une médecine gratuite, en priorité dans les quartiers pauvres, ou les 40.000 opérations de la cataracte ou d’autres problèmes de la vue dont ont bénéficié gratuitement des citoyens vénézuéliens dans des hôpitaux cubains. En échange, principalement sous forme de troc, le Venezuela fournit du pétrole à Cuba. Le même type d’accords s’applique entre le Venezuela et la Bolivie.

En conclusion, les expériences en cours dans ces pays sont très différentes de l’image caricaturale et négative qu’en donne la majorité des medias. Les processus en cours sont complexes et parfois contradictoires, des reflux sont possibles, même probables, les gouvernements n’iront peut-être pas assez loin dans les transformations politiques et sociales favorables au peuple. La déstabilisation orchestrée par les classes dominantes locales et Washington peut réussir à infléchir le processus en cours. Avec l’agression de la Colombie contre l’Equateur en mars 2002, on voit bien que Bogota et Washington sont prêts à utiliser l’arme de la guerre contre les régimes de Quito et de Caracas. Une des dimensions marquantes qui n’ont pas pu être abordées ici, c’est la faiblesse du contrôle des producteurs sur l’ensemble du processus de production (ce qu’on appelle, dans la tradition du mouvement ouvrier, le contrôle ouvrier et l’autogestion).

article original

nfos article
URL:
http://www.cadtm.org

LES JOURNALISTE AU SERVICE DE L´ ARGENT

Médias


31 août 2008

Les journalistes au service de l’argent

CARTAGENA & BRIATTE

On sait maintenant, grâce aux révélations issues de l’enquête de la Commission Church du Sénat Américain en 1975 et à la publication de documents officiels et confidentiels à la fin du gouvernement Clinton, que les journaux d’opposition à Allende –en particulier El Mercurio-, ont été généreusement financés par Washington par le biais de la CIA.

Pendant longtemps la dénonciation qu’en faisaient les démocrates a été traitée comme une campagne menée par les marxistes.

Des journaux, stipendiés par les Etats-Unis, ont non seulement contribué à la chute du gouvernement d’Allende mais, plus tard, participé à la politique systématique d’extermination menée par la dictature de Pinochet.

L’opération de presse la plus macabre reste l’Opération Colombo. En 1975 une liste de 119 militants disparus chiliens fut publiée dans plusieurs pays, les présentant comme les victimes de purges et de règlements de comptes des partis de gauche.

Au mois de mars 2006, le Collège des Journalistes du Chili a prononcé des condamnations à l’encontre de professionnels ayant participé à cette opération. C’est ainsi qu’ont été punis les ex-directeurs de quotidiens René Silva Espejo (décédé) de « El Mercurio », Mario Carneyro (décédé) de « La Segunda », Alberto Guerrero Espinoza de « La Tercera », Fernando Diaz Palma de « Las Ultimas Noticias ». Ce dernier présente comme circonstance aggravante le fait qu’à l’époque il assurait la Présidence du Collège des Journalistes. Et la simple journaliste Beatriz Undurraga Gomez a aussi été sanctionnée.

En juin 2008, ce même Collège a réuni les familles des 125 victimes de la dictature mortes et disparues dans le cadre des opérations dénommées « Colombo » et « Rinconada de Maipu » et leur a présenté ses excuses pour le comportement de certains de ses membres.

En même temps, il a sanctionné les journalistes Claudio Sánchez de Canal 13, Julio López Blanco, Vicente Pérez, Manfredo Mayol et Roberto Araya de Télévision Nationale (TVN), la chaîne de l’Etat, pour leurs implications dans ces opérations d’intelligence.

Cependant, lorsqu’un crime est commis, on n’est pas moins coupable pour être journaliste. Ainsi, les familles des victimes ont porté plainte contre cinq d’entre eux. Claudio Sánchez, Julio López Blanco, Manfredo Mayol, Roberto Araya et Vicente Pérez devraient donc répondre de délits d’homicide qualifié, de tortures et d’association illicite. Rappelons qu’ils pointaient dans les services de Pinochet. On ne saura jamais s’ils n’étaient que des fascistes motivés par l’aspect financier. Par ailleurs, Roberto Araya qui a reconnu avoir participé comme spectateur aux tortures infligées à des militants de gauche, a déjà été mis en cause dans un procès pour crimes contre l’humanité au Chili.

Le Président du Collège des Journalistes, Luis Conejeros lui-même, a manifesté sa préoccupation devant la décision des familles des victimes de porter plainte contre ses collègues car il considère que leurs actes sont de nature purement professionnelle. D’après lui nier, dissimuler et justifier des crimes de lèse-humanité constitue tout au plus une mauvaise pratique, mais jamais un délit passible de condamnation.

Rappelons que Conejeros a publiquement appelé, en octobre 2007, au boycott du journal des communistes « El Siglo », lors d’un conflit qui opposait la direction de ce journal à certains de ses prestataires contractuels.

L’anticommunisme, substrat essentiel pour de tels agissements, peut aussi encourager d’autres attitudes équivoques dont les motivations sont tout autant inavouables. Chassez le naturel, il revient au galop, surtout quand les anticommunistes se déguisent en démocrates.

En France, pendant tout le temps que les dénonciations et les preuves s’accumulaient sur le financement nord-américain de l’ONG Reporters sans Frontières (RSF), son président, Robert Ménard, s’est défendu en niant les faits et prétendant que ses accusateurs menaient une campagne communiste contre lui.

Robert Ménard est effectivement financé par la National Endowment for Democracy (NED) qui dépend de Washington et il a empoché 100.000 dollars de Taipei juste avant le déclenchement de la campagne contre la Chine à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin.

La justification des crimes commis par la politique américaine à travers le monde constitue un domaine où « Bob » Ménard excelle. En effet, Ménard a disculpé systématiquement l’armée américaine des crimes commis à Bagdad contre des journalistes. De même il a justifié le coup d’Etat contre Chavez au Venezuela en 2002. Mais le domaine où Ménard se montre le plus obsédé est dans la justification de toutes les agressions américaines contre Cuba, au point de participer lui-même au financement des « journalistes » cubains qui contribuent à mettre en pratique la politique de déstabilisation du pays prônée par la Maison Blanche.

Est-ce qu’un journaliste qui met ses compétences au service d’un crime contre l’humanité, soit en y participant, soit en le couvrant ou en le justifiant, est moins coupable que le criminel lui-même ?

J.C. Cartagena et N. Briatte

LES ETATS UNIS ET LA PRESSE MONDIALE

Médias

16 juin 2008

Sans fil à la patte ?

Comment les États-Unis financent des organes de la presse mondiale pour acheter une influence médiatique.

BIGWOOD Jeremy

Les campagnes domestiques de propagande comme « le fiasco des gourous du Pentagone » ont été exposées et décriées. Les grands médias ont employé des officiers militaires de haut rang pour fournir « une analyse » sur la guerre en Irak. Mais on a découvert qu’ils avaient des liens avec des entreprises travaillant pour le Pentagone qui avaient un réel intérêt à ce que la guerre continue.

Sous le manteau, un autre scandale du journalisme couve : le gouvernement des États-Unis finance secrètement des médias et des journalistes étrangers. Des administrations publiques comme le département d’État, le département de la Défense, l’Agence des États-Unis pour le Développement International (US Agency for International Development, USAID), le Fonds National pour la Démocratie (National Endowment for Democracy, NED), le Conseil Supérieur de la Radiodiffusion (Broadcasting Board of Governors, BBG) et l’Institut des États-Unis pour la Paix (US Institute for Peace, USIP), financent le développement des médias dans plus de 70 pays. La revue In These Times a découvert que ces programmes concernent des centaines d’organisations non gouvernementales étrangères (ONGs), journalistes, hommes politiques, associations de journalistes, médias, instituts de formation et écoles de journalisme. Le montant des soutiens va de quelques milliers à des millions de dollars.

« Le sujet que nous enseignons est la mécanique du journalisme, qu’il s’agisse de la presse écrite, télévision ou radio », a expliqué Paul Koscak, porte-parole d’USAID. « Comment bâtir une histoire, comment l’écrire de façon équilibrée..., tout ce type de chose que vous attendez d’un professionnel de la presse ».

Mais quelques personnes, spécialement en dehors des États-Unis, ont un différent point de vue.

« Nous pensons que la vraie intention occulte de ces programmes de développement des médias ce sont les objectifs de la politique extérieure [étasunienne] », a déclaré un diplomate vénézuélien de haut niveau qui a demandé de ne pas être nommé. « Quand l’objectif est de changer un régime, ces programmes ont prouvé être des instruments pour déstabiliser les gouvernements démocratiques élus que les États-Unis ne soutiennent pas ».

Isabelle MacDonald, directrice de la communication de Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) - un observatoire à but non lucratif des médias basé à New-York , a aussi une vision critique. « C’est est un système qui, en dépit de son adhésion affichée aux normes de l’objectivité, travaille souvent contre la vraie démocratie » - a-t-elle dit - « en appuyant la dissension et en aidant le gouvernement US à répandre la fausse information utile aux objectifs de la politique extérieure des Etats-Unis ».

Montrez-moi l’agence...

Il semble difficile de mesurer la taille et la portée du développement de ces médias « indépendants » parce que des programmes similaires existent sous diverses rubriques. Quelques agences considèrent que le « développement des médias » appartient à leur propre domaine, tandis que d’autres le classe comme « une diplomatie publique » ou « des opérations psychologiques ». Ainsi, il semble difficile de chiffrer combien d’argent va à ces programmes.

En décembre 2007, le Centre pour l’Aide Internationale aux Médias, (Center for International Media Assístance, CIMA), une officine du Département d’État financée par le NED, a rapporté qu’en 2006 l’USAID a distribué presque 53 millions de dollars pour des activités de développement de médias étrangers. Selon l’étude du CIMA, le Département d’État a estimé à 15 millions de dollars les subvention à de tels programmes. Le budget du NED pour les projets des médias s’élève à 11 millions supplémentaires. Et le petit Institut de la Paix des États-Unis (USIP), dont le siège est à Washington, a pu avoir contribué avec 1,4 millions supplémentaires, selon le rapport qui n’a pas examiné le financement qu’octroient aux médias le Département de la Défense ni la CIA.

Le gouvernement des États-Unis est de loin le plus grand fournisseur de fonds pour le développement des médias dans le monde, distribuant plus de 82 millions de dollars en 2006, sans inclure l’argent du Pentagone, de la CIA ou des ambassades des États-Unis dans les pays récepteurs. Pour compliquer le tableau, beaucoup d’ONGs étrangères et de journalistes reçoivent des fonds pour le développement des médias d’autres sources de financement du gouvernement des États-Unis. Certains reçoivent de l’argent de quelques sous-traitants des États-Unis et d’ « organisations internationales indépendantes à but non lucratif », tandis que les autres reçoivent de l’argent directement de l’ambassade des États-Unis dans leur pays.

Trois journalistes étrangers qui reçoivent un financement pour le développement des médias de la part des États-Unis nous informe que tels cadeaux n’affectent pas leur comportement ni ne modifient leur ligne éditoriale. Et ils nient pratiquer l’autocensure. Cependant, aucun ne le dirait publiquement.

Gustavo Guzmán, un ex-journaliste et maintenant ambassadeur bolivien aux États-Unis, a dit : « un journaliste qui reçoit de tels cadeaux n’est pas vraiment un journaliste, mais un mercenaire ».

Une histoire tordue

Le financement de médias étrangers par le gouvernement des États-Unis est une longue histoire. Vers le milieu des années 70, deux enquêtes du Congrès dérivées du scandale de Watergate, - les commissions « Church et Pike », du sénateur Frank Church (D-Idaho) et du représentant Otis Pike (D-NY) -, ont révélé les activités clandestines du gouvernement des États-Unis dans d’autres pays. Les deux commissions ont confirmé que, en plus de journalistes financés par la CIA (étrangers et étasuniens), le gouvernement de Washington a aussi subventionné la presse écrite étrangère, des radios et des chaînes de télévision - chose que les soviétiques faisaient aussi.

Par exemple, Encounter (Lire le livre de Frances Stonor Saunders : La CIA et la guerre froide culturelle), une revue littéraire une anticommuniste publiée en Angleterre entre 1953 et 1990, a été démasquée en 1967 comme une opération de la CIA. Et, comme c’est aujourd’hui le cas d’organisations au nom inoffensif tel que le « Congrès pour la Liberté de la Culture/ Congress for cultural fredom », ont aussi été des façades de la CIA.

Les enquêtes du Congrès ont établi que le financement clandestin des États-Unis à des médias étrangers a souvent occupé un rôle décisif dans la politique extérieure, mais nulle part autant qu’au Chili au début des années 70.

« La principale opération de propagande de la CIA, à travers le journal [conservateur] de l’opposition El Mercurio, a probablement participé le plus directement possible au sanglant renversement du gouvernement d’Allende et de la démocratie au Chili », a dit Peter Kornbluh, analyste du National Security Archive, un institut de recherche [universitaire] indépendant non gouvernemental.

In These Times a demandé à l’agence si elle finance encore des journalistes étrangers. Le porte-parole de la CIA Paul Gimigliano a répondu : « La CIA, d’ordinaire, ne confirme ni ne nie ce genre d’allégations ».

Les Ennemis du Département d’État ?

Le 19 août 2002, l’ambassade des États-Unis à Caracas, Venezuela, a envoyé le télégramme suivant à Washington :

« Nous attendons à ce que la participation de M. Lacayo à « Grant IV » soit reflétée directement dans son reportage sur les sujets politiques et internationaux. Alors que sa carrière progresse, nos liens plus étroits avec lui signifient que nous gagnerons un ami potentiellement important en position d’influence éditoriale ». [Note de l’éditeur : Le nom de M. Lacayo a été changé pour protéger son identité].

Le département d’État avait choisi un journaliste vénézuélien pour visiter les États-Unis sous le projet connu de "Grant IV", un programme d’échange culturel commencé en 1961. L’année dernière, le département a amené environ 467 journalistes aux États-Unis, pour un coût proche de 10 millions de dollars, selon un fonctionnaire du département d’État qui a demandé l’anonymat.

MacDonald, de FAIR, a dit que les « visites servent à construire des liens entre les journalistes étrangers en visite et les institutions à condition qu’... ils soient extrêmement acritiques sur la politique extérieure des États-Unis et les intérêts corporatifs qu’elle sert ».

Le Département d’État finance le développement des médias à travers plusieurs de ses bureaux, y compris le Bureau des Affaires Educatives et Culturelles (Bureau of Educational and Culturel Affairs), le Bureau de Renseignement et de Recherche (Bureau of Intelligence and Research, INR) et le Bureau de la Démocratie, des Droits de l’Homme et du Travail (DRL) (Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, DRL), et aussi directement à partir de ses bureaux et ambassades dans le monde entier. Il finance aussi des journalistes étrangers à travers une autre section, le soi-disant « Bureau de Diplomatie Publique et des affaires Publiques, OPDPA », (Office of Public Diplomacy and Public Affaire, OPDPA). Plus important, le Département d’État décide en général quelles autres agences, tels USAID et NED, doivent investir leurs fonds dans un programme de développement des médias.

(Le Département d’État n’a pas répondu aux demandes d’information d’In These Times à propos de son budget pour le développement des médias, mais l’étude du CIMA 2007 a démontré, par exemple, que le DRL a reçu en 2006 presque 12 millions de dollars pour le seul développement des médias).

Le cas de la Bolivie est un exemple révélateur d’un pays dans le quel les États-Unis finançaient le développement des médias. Selon le site Web du DRL [Bureau de la Démocratie, des Droits de l’homme et du Travail], en 2006 ce bureau a sponsorisé en Bolivie 15 ateliers sur la liberté de la presse et d’expression. « Les journalistes de ce pays et les étudiants en journalisme ont discuté de l’éthique professionnelle, des bonnes pratiques de diffusion de nouvelles et du rôle des médias dans une démocratie », informe leur site. « Ces programmes ont été envoyés à 200 stations de radio dans des régions lointaines à travers du pays ».

En 2006, la Bolivie a élu Evo Morales, son premier président indigène, dont les États-Unis et les grands médias boliviens ont tenté à plusieurs reprises d’empêcher l’arrivée au pouvoir. Morales et ses partisans affirment que le gouvernement étasunien est derrière le mouvement séparatiste dans les provinces de l’est de la Bolivie, riches en gaz, et affirment que cet appui caché se traduit dans des réunions pour le développement des médias, selon le journaliste et ex porte-parole du président sortant, Alex Contreras. Koscak, de l’USAID, a nié les accusations.

C’est le BBG.

« Le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (BBG) est plus connu comme le financier de la Voice of America. Selon son site Internet, BBG est responsable de toute émission internationale, non militaire, sponsorisée par le gouvernement étasunien », qui transmet des nouvelles et des informations en 60 langues et dans le monde entier.

En 1999, le BBG, est devenu une agence fédérale indépendante. Jusqu’en 2006, elle a reçu un budget de 650 millions de dollars, selon les estimations du CIMA, dont près de 1,5 million de dollars destinés au développement des médias et à la formation de journalistes en Argentine, Bolivie, Kenya, Mozambique, Nigeria et Pakistan.

En plus de la Voix de l’Amérique, le BBG gère aussi quelques autres stations radios et TV. La station de télévision Alhurra, dont le siège est à Springfield, Virginie, « est un réseau commercial libre de télévision par satellite en langue arabe pour le Moyen-Orient, consacré surtout à des news et à l’information », selon son site Web. Alhurra, « libre » en arabe, a été décrit par le Washington Post comme « le plus grand et le plus coûteux effort du gouvernement des États-Unis pour secouer l’opinion publique étrangère via des ondes depuis la création de la Voix de l’Amérique en 1942 ».

BBG finance aussi la Radio Sawa (pour la jeunesse arabe, avec une présence en Égypte, dans le Golfe Persique, Irak, Liban, Maroc et Soudan), Radio Farda (pour l’Iran) et Radio Free Asia (avec une programmation régionale pour l’Asie). Le BBG finance aussi des transmissions à travers Radio y TV Martí, dont lle coût s’élèverait à presque 39 millions de dollars en 2008, selon le Budget pour les Opérations Étrangères du Congrès (Foreign Operations Congressional Budget Justification).

Les RP du Pentagone

Le Département de la Défense (DOD) a refusé de répondre à In These Times au sujet de ses programmes de développement des médias. Selon un article de Jeff Gerth, Military’s Information War Is Vast and Often Secretive (la guerre d’information de l’armée est vaste et souvent secrète - ndt), publié dans le The New York Times le 11 décembre 2005, « les militaires gèrent des stations d’émission et des journaux [en Irak et en Afghanistan] mais ne font pas connaître leurs liens étasuniens ».

Le travail de développement des médias en Irak « a été confié au Département de la Défense, dont les principaux fournisseurs avaient peu ou aucune expérience valable », selon un rapport de l’USIP d’octobre 2007.

Une étude de 2007 du Centre d’Études Globales de Communication de l’École Annenberg pour la Communication, de l’Université de la Pennsylvanie (Center for Global Communication Studies at the University of Pennsylvania’s Annenberg School for Communication), a découvert que Science Applications International Corp. (SAIC), un sous-traitant du Département de la Défense, a reçu un contrat initial de 80 millions de dollars par un an pour transformer en "indépendant" un système de médias dirigé par le gouvernement, grâce à un style similaire à celui du service de nouvelles nationales de la BBC, pour compenser en partie l’influence d’Al Jazeera sur la région.

« La SAIC était un bureau du DOD qui s’est spécialisé dans les opérations de guerre psychologique, et plusieurs croient qu’il a contribué à forger l’opinion des Irakiens sur le fait que le Réseau de Médias d’Irak (IMN) n’était principalement qu’un appendice de l’Autorité Provisoire de la Coalition (Coalition Provisional Authority) », est-il expliqué dans le rapport de l’USIP. « Le fonctionnement de la SAIC en Irak a été considéré comme coûteux, non professionnel et raté pour ce qui est d’établir l’objectivité et l’indépendance de l’IMN ». Par hasard, la SAIC a perdu le contrat au profit d’une autre compagnie, l’Harris Corp.

SAIC n’a pas été le seul sous-traitant de médias du Pentagone qui a massivement échoué. Peter Eisler, dans son article Pentagon launches foreign news websites (le Pentagone lance des sites internet d’information à l’étranger) du 30 avril dans le magazine USA Today, a affirmé que le site Web irakien d’information Mawtani.com est un de ces média d’information financé par le Pentagone.

USAID : « de la part des étasuniens »

Le président John F. Kennedy a créé l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) en novembre 1961 pour administrer une aide humanitaire et le développement économique dans le monde entier. Mais tandis que l’USAID professe la transparence pour d’autres nations, elle-même est très peu transparente. C’est particulièrement vrai pour ses programmes de développement des médias.

« Dans de nombreux pays, y compris au Venezuela et en Bolivie, l’USAID agit plus comme une agence impliquée dans une opération de renseignement, comme la CIA, que comme une agence d’aide ou de développement », a dit Mark Weisbrot, un économiste du Centre pour la Recherche Économique et Politique (Center for Economic and Policy Research), un « think-tank » basé à Washington.

En fait, tandis que les enquêteurs ont pu obtenir les budgets des programmes globaux d’USAID en recourant au Freedom of Information Act, ainsi que les noms des pays ou des régions géographiques où a été versé l’argent, les noms des organisations étrangères spécifiques qui reçoivent ces fonds, en revanche, sont classés secret d’Etat, exactement comment dans le cas de la CIA.

Et dans le cas où les noms des organisations récipiendaires sont connues et qu’on demande de l’information sur elles, l’USAID répond qu’il ne peut « ni confirmer ni nier l’existence de ces faits », utilisant le même langage que la CIA. (Note de l’auteur : En 2006, j’ai perdu un procès contre l’USAID, dans une tentative pour identifier les organisations qu’elle finance à l’extérieur).

USAID finance trois opérations importantes de développement des médias : l’International Research et Exchanges Board, plus connu comme IREX, le réseau Internews Network et Search for Common Ground, financé en grande partie par des fonds privés. Pour compliquer le tableau, ces trois opérations ont aussi reçu un financement du département d’État, de la Middle East Partnership Initiative, MEPI, du Bureau de Renseignement et de Recherche (Bureau of Intelligence and Research) et du Bureau Démocracie, de Droits de l’homme et du Travail.

Selon sa plaquette, l’IREX est une organisation internationale à but non lucratif qui « travaille avec des associés locaux pour améliorer le professionnalisme et le développement économique à long terme de journaux, de stations de radio et de télévision et les médias ’Internet’. La déclaration d’impôts ’990’ pour 2006 de l’IREX a indiqué que ses activités avec les médias incluent « de petites bourses accordées à plus de 100 journalistes et organisations de médias ; une formation pour des centaines de journalistes et d’entreprises de médias » et compte plus de 400 employés qu’ils conseillent et envoient des programmes à plus de 50 pays.

Le réseau Internews Network, appelé communément « Internews », reçoit seulement quelque chose comme la moitié du budget de l’IREX mais il est plus connu. Fondée en 1982, la majorité du financement d’Internews provient de l’USAID, bien qu’il reçoive aussi des fonds du NED et du département d’État. Internews est l’une des plus grandes opérations dans le domaine du développement indépendant des médias, finançant des douzaines d’ONGs, de journalistes, associations de journalistes, instituts de formation continue et des universités de journalisme dans des douzaines de pays à travers le monde.

Les opérations d’Internews ont été stoppées dans des pays tels que la Biélorussie, Russie et Ouzbékistan, où elle a été accusée de miner les administrations locales et de promouvoir les agendas des États-Unis. Dans un discours à Washington DC en mai 2003, Andrew Natsios, ex-administrateur d’USAID, a décrit les entrepreneurs privés financés par l’Agence comme « un bras du gouvernement des Etats-Unis ».

L’autre plus grand récepteur de fonds d’USAID pour le développement des médias, Search for Common Ground, reçoit plus d’argent du secteur privé que du gouvernement des États-Unis, dans la plupart des cas pour la « résolution de conflits », selon le rapport du CIMA.

Cuba et Iran sont deux cibles importantes de l’USAID pour le développement et l’assistance des médias. Le budget USAID pour la « Liberté des Médias et la Liberté d’Information » (Media Freedom and Freedom of Information) - pour la « transition » de Cuba sous la Commission d’Assistance pour un Cuba Libre II (Commission for Assistance to à Free la Cuba II, CAFC II) - totalise 14 millions de dollars. Cela représente une augmentation de 10,5 millions par rapport au montant dédié en 2006. Pour l’Iran, l’USAID a prévue un budget d’environ 25 millions de dollars pour le développement des médias en 2008. Cela fait partie d’un paquet de 75 millions destinés à ce que l’USAID appelle « une diplomatie transformationnelle » dans ce pays.

Finançant la "démocratie" à la sauce USA

« Beaucoup de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait secrètement fait par la CIA pendant 25 ans », a dit Allen Weinstein, l’un des fondateurs du National Endowment for Democracy, dans un article publié en 1991 par The Washington Post.

Crée au début des années 80, le NED « est gouverné par une équipe de direction indépendante, non partisane ». Son objectif est d’appuyer des organisations favorables à la démocratie dans le monde. Cependant, historiquement, son agenda a été défini par les objectifs de la politique extérieure de Washington.

« Quand la rhétorique de la démocratie est laissée de côté, le NED est un outil hautement spécialisé pour pénétrer la société civile d’origine populaire d’autres pays » pour atteindre les buts de la politique extérieure des États-Unis, a écrit le professeur William Robinson, de l’Université Santa Barbara, de Californie, dans son livre A Faustian Bargain. Robinson a été au Nicaragua à la fin des années 80 et il a observé comment le travail du NED avec l’opposition nicaraguayenne appuyée par les Etats-Unis affaiblissait l’influence des sandinistes (de gauche) pendant les élections de 1990.

Le NED a aussi été derrière un grand scrutin public au Venezuela, où il a été dénoncé pour le financement du camp anti-Chavez. Dans son livre El Código Chávez (Le Code Chavez), l’avocate vénézuélo-étasunienne Èva Golinger a écrit que les bénéficiaires du NED (et de l’USAID) furent impliqués dans la tentative de coup d’Etat contre le président vénézuélien Hugo Chávez en 2002, et de la même manière dans la conduite des « grèves de travailleurs » contre l’industrie pétrolière du pays. Golinger a aussi observé que le NED a financé Súmate, une ONG vénézuélienne dont l’objectif est de promouvoir l’exercice libre des droits politiques des citoyens, et qui a orchestré le référendum révocatoire raté contre Chavez en 2004.

Dépendance et obligation

Le concept de la séparation des pleins pouvoirs entre la presse et le gouvernement n’est pas seulement un principe de base du système politique des États-Unis, mais aussi de l’article 19 de la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme. Le financement par le gouvernement des États-Unis d’organes de presses risque d’établir une relation client-fournisseur qui empêche de considérer un média comme indépendant.

« Toute donation d’équipement du gouvernement des États-Unis, comme des ordinateurs et des graveurs, affecte le travail des journalistes et des organisations journalistiques », a déclaré le journaliste bolivien Contreras, « parce cela crée une dépendance et une obligation aux agendas souterrains des institutions des États-Unis ».

* Jeremy Bigwood est un journaliste étasunien.

Article original : In These Times
http://www.inthesetimes.com/article...

Traduction de l’espagnol pour "El Correo" de : Estelle et Carlos Debiasi.

Editée par le Grand Soir le 16 juin 2008

Article en français sur EL CORREO

L ´ AFRIQUE DE MR. BUSH.

De mal empire


4 octobre 2008

L’Afrique de Mr. Bush

DINUCCI Manlio, LIBERTI Stefano

Ils auraient voulu fêter la naissance de leurs activités sur le sol africain. Mais les responsables de l’AfriCom, le nouveau commandement pour l’Afrique créé par le Département de la défense, opératif depuis hier (1er octobre 2008, NDT), ont du trinquer sur le sol froid de Stuttgart, en Allemagne, où la structure a du garder son quartier général, malgré elle. L’AfriCom avait été lancé avec l’objectif de « rationaliser la gestion existante » - jusque là les pays africains tombaient sous la juridiction (« juridiction » définie par les USA pour leur présence militaire hors territoire, NDT) étasunienne de trois commandements différents- et celui, moins avouable, de contrôler les réserves pétrolifères du continent et de s’opposer à l’avancée chinoise dans la nouvelle lutte pour les ressources ; mais il a en fait connu un re-dimensionnement progressif et incoercible. Sa création a été annoncée dès février l’an dernier, avec de grands objectifs pour un avenir glorieux. « La base d’AfriCom sera installée sur le sol africain » avait dit le général William « Kip » Wald, ex-responsable des troupes US en Bosnie et vice-commandant européen, nommé pour diriger la nouvelle créature en vertu surtout de ses origines afro-américaines. « A partir d’octobre 2008, le commandement AfriCom sera installé en Afrique » avait repris en écho Jendayi Frazer, la sous-secrétaire d’Etat aux Affaire africains. Au Département d’Etat et à celui de la Défense, on semblait n’avoir aucun doute : les pays africains allaient se battre pour avoir la base d’AfriCom sur leur sol. Puis, face à une longue liste de refus, on a du peu à peu y repenser ; pour finir par admettre - il y a quelques mois, quand la situation était désormais définitivement compromise - que « pour le moment » la base d’AfriCom resterait en Allemagne. C’est l’Afrique du Sud qui allait entamer le chœur de critiques, par la déclaration de son ministre de la défense qui avait affirmé que les pays africains « s’opposent à la création d’un commandement unifié sur le continent ».

La position de Pretoria a été ensuite reprise par toute la Southern Africa Development Community (SADC), l’organisation régionale qui réunit 14 pays de l’Afrique australe. Suivie à très peu d‘intervalle par le non d’autres états de poids, comme l’Algérie, la Libye et le Nigeria. . Tous pays qui non seulement ont exclus l’éventualité que la base d’AfriCom puisse se dresser sur leur sol mais ont aussi exercé une « moral suasion » (persuasion morale… NDT) sur leurs aires d’influence respectives. C’est ainsi que la Cen-Sad – la communauté de 25 Etats du Sahel et Sahara, créée par Tripoli, comme la Cedeao/Ecowas (la Communauté économique d’Afrique Occidentale où le Nigeria a un rôle prédominant), se sont rangées officiellement contre la naissance d’AfriCom en Afrique. Finalement, un seul pays - le Liberia d’Ellen Johnson-Sirleaf, qui voyait dans la création du commandement une opportunité pour voir la reconstruction de son pays par ses amis de la bannière étoilée - s’est offert pour accueillir la base. Mais la carence en infrastructures dans un pays qui vient à peine de sortir d’une guerre civile dévastatrice, en plus de la contrariété suscitée chez les Etats voisins, a poussé le commandement à refuser l’offre de Monrovia. Il y a quelques mois, les anti-Africom avaient découvert un soutien inattendu de l’ex-président de la Banque mondiale, ex-vice secrétaire à la Défense et « faucon » impénitent de la première administration Bush, Paul Wolfowitz. « Je ne suis pas du tout convaincu qu’AfriCom, dont la création m’a pris par surprise, soit une bonne idée. Je peux parfaitement comprendre que les Africains, qui n’ont certainement pas oublié notre appui dans le passé à des dictateurs comme Mobutu, expriment une résistance à la présence de soldats américains (étasuniens, NDT) sur leur propre sol », avait déclaré celui qui a été l’architecte de la guerre en Irak.

Aux critiques de Wolfowitz ont succédé celles de certains représentants démocrates, qui s’interrogent eux aussi sur l’utilité du nouveau commandement et qui, surtout, demandaient des comptes sur les dépenses et perspectives futures. « Il semble que nous soyons en train de créer AfriCom pour protéger le pétrole et combattre les terroristes, selon la même procédure erronée que celle avec laquelle nous sommes allés combattre des terroristes dans d’autres régions du monde » a dénoncé Stephen Lynch, député démocrate du Massachusetts. En effet, personne ne semble avoir de doutes sur les intentions réelles d’AfriCom : renforcer la présence militaire sur un continent de plus en plus important du point de vue géostratégique.

Le vice président Dick Cheney l’avait déjà annoncé dans son National Energy Policy en mai 2001 : les importations américaines (étasuniennes, NDT) de pétrole du Golfe de Guinée doivent augmenter progressivement pour se substituer aux provisions de pays non fiables et peu amicaux, comme le Vénézuéla de Chavez. Ce qui, depuis lors, s’est produit de façon ponctuelle, même si ce n’est pas au rythme souhaité par le vice président de Bush : les importations de brut d’Afrique de l’Ouest sont passées de 10% en 2001 à 15% actuels. AfriCom s’insérait aussi dans ce dessein général : établir des rapports militaires intégrés avec des pays producteurs et battre de vitesse la Chine dans la lutte pour s’accaparer le pétrole brut africain. La gifle du continent africain à propos de la création de la base n’est pas un bon signe pour les perspectives futures de Washington au sud de la Méditerranée.

Stefano LIBERTI

Edition de jeudi 2 octobre de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


IIème article

Une force pour contrôler le pétrole et tout le reste

Avec la naissance du Commandement Africa (Africom), c’est la planisphère géo-stratégique du Pentagone qui a changé depuis hier (mercredi 1er octobre, NDT) : les commandements unifiés, dont les « aires de responsabilité » couvrent le monde entier, passent donc de cinq à six. L’aire de responsabilité de l’AfriCom embrasse quasiment tout le continent, sauf l’Egypte. Jusque là l’Afrique était divisée entre un Commandement européen, un Commandement du Pacifique, et un Commandement central (qui avait dans son « aire de reponsabilité » en plus du Moyen-Orient, la Corne d’Afrique, le Soudan et l’Egypte). De ces trois commandements, l’AfriCom a hérité des 134 « missions » que les Usa sont en train de mener en Afrique. Ce sera désormais l’AfriCom qui les conduira. A la veille de la constitution de l’AfriCom, le vice secrétaire de la défense pour les Affaires africaines, Theresa Whelan, a nié que la création du nouveau commandement signifia une militarisation de la politique extérieure étasunienne. « Il y a beaucoup de malentendus et interprétations erronées » a renchéri l’amiral Robert Moeller, vice-commandant des opérations militaires de l’AfriCom, en garantissant qu’il n’entre pas dans les plans du nouveau commandement d’installer des bases et de déployer des milliers de soldats étasuniens en Afrique. Le but déclaré de l’AfriCom est de « développer chez nos partenaires la capacité d’affronter les défis pour la sécurité de l’Afrique ». Du coup, depuis qu’il a commencé à opérer en octobre 2007 en tant que sous commandant de la direction européenne, l’AfriCom s’est concentré sur l’entraînement de militaires africains, surtout en Afrique occidentale. Il se déroule dans le cadre de l’opération « Africa Partnership Station », qui prévoit le déploiement permanent de navires de guerre le long des côtes de l’Afrique occidentale, avec à son bord du personnel militaire venant aussi d’autres pays (jusqu’à présent Grande-Bretagne, France, Allemagne et Portugal). En juillet dernier s’est déroulée au Nigeria la manœuvre militaire « Africa Endeavor », à laquelle, sous commandement du général de l’US Air Force, David A. Cotton, ont participé 21 pays africains : Nigeria, Benin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap Vert, Tchad, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Malawi, Mali, Namibie, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Ouganda et Zambie. Plus de 200 militaires de ces pays ont été entraînés à l’utilisation du C3IS, le système étasunien de commande, contrôle, communications et informations, de façon à rendre possible « l’intégration et l’interopérabilité » entre les forces armées des pays participants. Au Ghana, une escadre de techniciens, envoyée par le commandement de Naples des forces navales Usa, a effectué une prospection hydrographique du port de Tema dans le cadre d’un programme destiné à « améliorer la sécurité maritime dans tout le golfe de Guinée ». L’importance de cette région ressort d’un communiqué de la marine Usa : « 15% du pétrole importé par les Etats-Unis provient du Golfe de Guinée, région riche aussi d’autres ressources : notre but est donc d’établir un milieu maritime sûr pour permettre à ces ressources de rejoindre le marché ». D’ici 2015, cette région fournira 25% du pétrole importé par les USA. Les intérêts en jeu sont énormes : au Nigeria, grand producteur pétrolifère de l’Afrique, 95% de la production est aux mains de quelques multinationales, parmi lesquelles Shell qui en contrôle plus de la moitié. La même chose se passe au Tchad dont le pétrole, exporté à travers un oléoduc qui traverse le Cameroun, est contrôlé par un consortium international chapeauté par Exxon mobil. Une telle domination est cependant à présent mise en péril par la rébellion des populations et par la concurrence chinoise.

D’où la décision de constituer un commandement spécifique pour l’Afrique. Pour contrôler cette zone stratégique et quelques autres, comme la Corne d’Afrique à l’embouchure de la Mer Rouge (où, à Djibouti, est basée une task force étasunienne), le Pentagone a entraîné, dans le cadre du programme Acota, 45.000 soldats africains et formé 3.200 instructeurs africains. Cette tâche sera maintenant portée par le Commandement Africa, qui s’appuiera encore plus sur les élites militaires pour amener le plus grand nombre possible de pays africains dans la sphère d’influence étasunienne. La naissance du Commandement Africa a de notables implications aussi pour notre pays (pour l’Italie, NDT), dans la mesure où l’AfriCom (dont le quartier général reste pour le moment à Stuttgart) sera supporté par les commandements et les bases étasuniens en Italie. Confirmé par le fait que le 4 octobre, trois jours à peine après la création de l’AfriCom, arrivera en Afrique du Sud le groupe d’attaque du porte-avions Theodore Roosevelt, avec à son bord 7.000 hommes, envoyé par le commandement des forces navales US en Europe, dont le QG est à Naples. Il est prévisible aussi que la 17ème force aérienne Us, réactivée le 22 septembre à Ramstein pour être mise à la disposition de l’Africom, opérera non pas de la base allemande, mais des bases en Italie, comme Aviano et Sigonella. On peur également prévoir que les matériaux nécessaires à l’AfriCom seront fournies par la base étasunienne de Camp Darby (Province de Pise, NDT). Particulièrement important, le rôle de la base aéronavale de Sigonella : c’est ici, depuis 2003, qu’opère la Joint Task Force Aztec Silence, la force spéciale qui mène en Afrique des missions d’espionnage, de surveillance et d’opérations sécrètes dans le cadre de la « guerre mondiale contre le terrorisme ».

Mais les œuvres de bienfaisance ne manquent pas non plus : en juillet dernier des militaires étasuniens sont partis d’Aviano pour le Mali, pour, officiellement, apporter des vêtements, des chaussures et des jouets à un orphelinat de Bamako.

MANLIO DINUCCI

Edition de jeudi 2 octobre 2008 de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it/Quot...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Coquille corrigée le 5/10/08

SUNGHA JUNG - MISSION IMPOSSIBLE

COMMENT LES TELEVISIONS ONT CENSURE LES VOIX ANTI-GUERRE

Médias


3 mai 2008

"notre cible stratégique, c’est la population"

Etats-Unis : comment les télévisions ont censuré les voix anti-guerre

COHEN Jeff

Au cours de l’automne 2002, semaine après semaine, j’ai vigoureusement débattu contre l’invasion de l’Irak sur la chaine de télévision MSNBC. J’ai utilisé tous les arguments possibles pour tenter de convaincre le public – absence de menace réelle, le coût, l’instabilité. Mais lorsque la guerre se fît imminente, je me suis retrouvé exclu des débats.

Dans mon livre de 2006 « Cable News Confidential » (1) j’explique comment j’ai perdu mon temps de parole :

« Je n’avais plus ma place chez MSNBC après qu’ils aient lancé « Countdown : Iraq » [Compte à rebours : Irak] une émission quotidienne d’une heure qui paraissait plus prompte à présenter la guerre sous un côté glamour qu’à en analyser les fondements ou se poser des questions. L’émission présentait des colonels et des généraux à la retraite qui ressemblaient parfois à des petits garçons avec leurs jouets lorsqu’ils présentaient des cartes, des maquettes et des graphiques pour concocter des scénarii d’invasion.

« Ils me faisaient penser à ces anciens joueurs de foot qui se lancent dans des analyses et présentent des schémas de jeu avant le match. Ce fût très pénible de se retrouver sur la touche chez MSNBC tout en observant ces non-débats où mensonges et désinformation furent servis sans la moindre contestation ».

C’est déjà assez pénible de se voir réduit au silence. Mais pire encore, c’est de voir ces ex-généraux – dont beaucoup travaillaient pour des sociétés d’armement – ne jamais être contredits, ne jamais se voir poser une question délicate par un présentateur. (Je ne pouvais être présent sur un plateau de MSNBC qu’à la condition d’avoir en face de moi au moins un contradicteur volubile de droite).

A part de découvrir l’audace et l’étendue de l’opération, je n’ai pas été réellement surpris par un article récent du New York Times (2) qui raconte comment le Pentagone avait recruté et formé des gradés militaires à la retraite pour devenir « des multiplicateurs de message » et des « substituts » à la propagande mortelle de Donald Rumsfeld.

Les grands méchants dans cette histoire ne sont ni Rumsfeld ni le Pentagone, mais les chaines de télévision. Au pays du premier Amendement (article de la constitution qui garantit, entre autres, la liberté de la presse… – ndt) elles ont sciemment choisi d’abandonner le journalisme et d’évacuer le débat.

Aucune agence gouvernementale n’a forcé MSNBC à donner constamment la parole aux généraux va-t-en guerre, sans jamais un contradicteur en face. Ou de licencier Phil Donahue. Ou de calomnier l’expert en désarmement Scott Ritter. Ou de mettre sur liste noire l’ancien Ministre de la Justice Ramsey Clark.

Ce furent les dirigeants de MSNBC, pas le FBI, qui imposèrent à l’équipe de Donahue un quota de deux partisans de la guerre en cas de présence d’un opposant – de la discrimination positive en faveur des faucons.

Je suis pour une enquête du Congrès sur cette opération de propagande du Pentagone sur l’Irak (3) – où l’on a même vu un général en exercice haranguer d’anciens militaires devenus porte-voix contre rémunération et déclarer « notre cible stratégique, c’est la population ».

Les méchants

Mais je suis aussi pour un examen de CNN, FOX, NBC, ABC, CBS et même NPR (chaine publique – NDT) (4) et qu’elles rendent des comptes pour leur participation à la mission de « contrôle de l’information » du Pentagone.

Et pour avoir une idée du degré de corruption de la télévision étatsunienne aujourd’hui, il suffit de constater le silence quasi total qui y règne sur cet article du Times qui s’appuie sur 8000 pages de documentation interne au Pentagone, obtenue après un procès engagé et gagné par le journal.

Il est important de se rappeler qu’au moment où les grandes chaines de Télévision décidèrent d’abandonner toute éthique journalistique dans leur course à la guerre contre l’Irak, les médias indépendants sur Internet connurent un boom d’audience en choisissant une ligne rédactionnelle totalement différente.

Des émissions comme « Democracy Now ! » présentaient de véritables spécialistes de l’Irak et à qui – oh surprise ! – les faits ont donné raison. Des sites et des blogs indépendants, propulsés par le scepticisme sur la guerre, on vu leur audience exploser.

Quant aux grandes chaines de télévision, elles n’ont PAS été embobinées par la propagande du Pentagone. Elles ont été volontairement complices, et le sont depuis des dizaines d’années.

Il y a des années de cela, en tant que directeur de FAIR, j’ai commencé à interroger les dirigeants des média sur la fiabilité des interventions d’anciens gradés militaires sans contradicteurs. Après la guerre du Golfe de 1991, CNN et d’autres chaines de télévision se sont rendues compte que leurs ex-généraux avaient aidé le Pentagone à tromper et désinformer le public sur la conduite de la guerre.

CNN m’a invité à débattre avec un colonel à la retraite de l’armée US sur ce sujet des ex-militaires intervenant à la télévision. Les analystes militaires n’ont pas l’habitude des débats et le notre commença à chauffer.

Moi : « Pour parler d’écologie, il ne vous viendrait pas à l’esprit d’inviter, les uns derrière les autres, des experts qui seraient à la retraite d’organisations écologistes depuis 20 ou 30 ans et qui seraient toujours loyaux à ces groupes. Pour parler de travailleurs ou de conditions de travail il ne vous viendrait pas à l’esprit d’inviter, les uns derrière les autres, des experts qui n’ont pas côtoyé le monde du travail depuis 30 ans... Mais lorsqu’il s’agit de guerre et de politique étrangère, vous ramenez tous les généraux à la retraite, tous les secrétaires d’état à la retraite ».

le Colonel (avec irritation) : « et qu’est ce que vous voudriez ? Qu’un inspecteur des impôts se ramène pour nous parler de stratégie militaire ? »

Moi : « en plein dans le mille, Colonel... A part les généraux et les amiraux qui savent nous expliquer les différentes manières d’envoyer un missile ou une bombe, nous avons aussi besoin d’autres types d’experts : des experts en droits humains, des experts en médecine, des experts en opérations humanitaires, qui savent de quoi ils parlent lorsqu’ils parlent de bombes qui tombent sur des gens. »

Avant la fin du débat, j’ai exprimé mes doutes de voir un jour les média se débarrasser de cette mauvaise habitude qu’ils ont de s’appuyer sur des sources militaires non fiables :

« Il y ce rituel, ce scénario connu, cette routine, où les journalistes des grands média, à la fin de chaque guerre ou intervention militaire, qui disent « Ah mince, on a été manipulés. On s’est fait avoir. La prochaine fois, on sera plus prudents ». Et lorsque la prochaine fois arrive, on retrouve les mêmes journalistes en train d’interviewer les mêmes spécialistes qui alimentent la désinformation en provenance du Pentagone. »

Experts, et pas Partisans ?

Quelques années plus tard, au cours du bombardement brutal US-OTAN sur la Serbie, Amy Goodman de Democracy Now ! interviewa le vice-président et présentateur de CNN, Frank Sesno :

Goodman : « Si vous défendez la pratique qui consiste à rémunérer d’anciens militaires, des généraux, pour donner leur opinion en temps de guerre, seriez-vous prêt à défendre l’idée de rémunérer des pacifistes pour donner une opinion contradictoire en temps de guerre, d’être présents avec les généraux pour expliquer pourquoi ils pensent que la guerre est une erreur ? »

Sesno : « Nous faisons appel à des généraux parce que ce sont des experts dans leur domaine. Nous les appelons en tant qu’analystes, pas en tant que partisans. »

C’est évident : les experts en guerre sont objectifs ; les experts en paix sont partiaux. Même lorsque le Pentagone aide la chaine de télévision à monter son réseau d’experts militaires.

Peu après l’invasion de l’Irak, les Chef de la rubrique information de CNN, Eason Jordan, reconnût en direct qu’il avait révisé avec le Pentagone la liste d’analystes éventuels. « Ils nous ont opiné pour tous ceux qui figuraient sur la liste. C’était important pour nous ».

De tous les moments pénibles que j’ai vécus – après avoir été viré de MSNBC avec Phil Donahue et d’autres – le pire fut de voir le Général à la retraite Barry McCaffrey, le plus important analyste militaire de NBC, appeler sans cesse à la guerre contre l’Irak.

Ce que les téléspectateurs ne savaient pas, c’est que le général était aussi un membre (avec Lieberman, McCain, Kristol et Perle) d’un comité en faveur de l’invasion de l’Irak appelé « Comité pour la libération de l’Irak ».

Une des figures les plus notoires de ce groupe de partisans du Pentagone fut McCaffrey – personne n’a raconté autant de bêtises avec autant d’autorité. Par exemple sur les plans pour sécuriser l’Irak :

« Je viens d’avoir un compte-rendu du Secrétaire Rumsfeld et de son équipe sur l’après-guerre. Et j’ai été surpris de voir à quel point ils ont pensé à tout et dans les moindres détails. »

Après de début de l’invasion, McCaffrey croassa sur MSNBC « Que Dieu bénisse les tanks Abrams et les blindés Bradley ».

Personne n’obligea NBC ou MSNBC à présenter McCaffrey seul, sans contradicteur. Personne n’empêcha non plus ces chaînes d’expliquer aux téléspectateurs que le général siégeait au Conseil d’Administration de plusieurs sociétés d’armement, dont une qui justement gagnait des millions de dollars grâce aux Abrams et Bradleys bénis par Dieu. (5)

La séparation de la presse et du gouvernement est une des raisons qui poussent de plus en plus d’étatsuniens vers les médias indépendants au détriment des médias commerciaux.

Et les médias indépendants ne diffusent pas des publicités embarrassantes comme celle que NBC diffusait avec fierté en 2003 :

« Face-à-face en Irak, et seul NBC News vous offre les experts. Le Général Norman Schwarzkopf, commandant des forces alliées durant la guerre du Golfe. Le Général Barry McCaffrey, le général 4 étoiles le plus décoré de l’armée. Le Général Wayne Downing, ancien commandant des opérations spéciales et conseiller à la Maison Blanche. L’ambassadeur Richard Butler et ancien inspecteur en désarmement de l’ONU, David Kay. Personne ne connait aussi bien l’Irak que ces gens-là. Les experts. Le meilleur de l’information par le journal télévisé le plus regardé d’Amérique, NBC News ! »

Article Original :
http://www.consortiumnews.com/2008/...

Traduction VD pour Le Grand Soir


Jeff Cohen est directeur/fondateur de Park Center for Independent Media (6) à Ithaca College.

Son dernier livre est « Cable News Confidential : My Misadventures in Corporate Media »

Fondateur de FAIR (groupe d’observation des médias) en 1986

(1) http://www.amazon.com/Cable-News-Co...

(2) http://www.nytimes.com/2008/04/20/w...

(3) http://www.freepress.net/pentagon_p...

(4) http://www.commondreams.org/archive...

(5) http://www.thenation.com/doc/200304...

LA FACE CACHEE DE REPORTERS SANS FRONTIERES

13 mars 2008

RSF et les douze salopards.

VIVAS Maxime

Le 12 mars 2008, le directeur de la Division de la liberté d’expression, de la démocratie et de la paix de l’UNESCO (organisation de l’ONU pour l’éducation, les sciences et la culture), a notifié en termes diplomatiques que l’UNESCO retirait son patronage à la Journée pour la liberté sur Internet, organisée par Reporters sans frontières.

Il s’agit là d’un refus cinglant de s’associer aux activités envisagées par RSF, dont l’UNESCO « n’a pas eu connaissance et qu’elle ne peut reprendre à son compte », assorti d’une dénonciation de l’utilisation abusive « du logo de l’UNESCO ».

RSF en tribunal de l’inquisition.

Selon l’agence Prensa Latina citant des sources diplomatiques de l’ONU, la conduite de RSF n’est pas conforme au positionnement de l’UNESCO ; elle démontre son intérêt pour le sensationnalisme et son objectif de s’ériger en tribunal de l’inquisition contre des nations en voie de développement. Toujours selon l’agence, des diplomates de l’ONU, qui ont demandé à conserver l’anonymat, tiennent pour définitive la rupture des relations avec RSF. l’UNESCO exclurait « tout type de collaboration dans le futur ». Bizarrement, ont confié les diplomates, la liste noire de RSF ne compte aucun pays occidental, mais seulement des pays du Tiers monde.

Incroyable partialité.

S’il fallait donner un seul exemple de l’incroyable partialité de RSF, prenons celui-ci :

Les Etats-Unis, qui exercent un contrôle mondial sur Internet, interdisent à Cuba de se connecter par câble. Le coût des communications, par satellite, s’en trouve quadruplé. Ce pays pauvre assure une intense activité de formation de tout son peuple en informatique mais, s’agissant d’Internet, accorde une priorité (pas une exclusivité !) aux besoins vitaux (liaisons entre administrations, secteurs de santé, défense, éducation, recherche…).

Cette pénurie est en grande partie la conséquence d’un blocus des USA contre la petite île des Caraïbes, mesure condamnée chaque année par l’ONU. Le 30 octobre 2007, 184 pays (contre 4) ont voté pour sa levée.

Au mois d’octobre dernier, un voyagiste européen organisant des séjours à Cuba a constaté que 80 de ses sites Internet ont cessé de fonctionner. Ils avaient été placés dans la liste noire du Département du Trésor (US) et son hébergeur de nom de domaine avait dû les désactiver. L’Office of Foreign Assets (OFAC) est un bureau de contrôle US qui peut faire clore des sites hors des USA. Cette censure est une des mesures visant à accroître le blocus.

Posons maintenant que le niveau de liberté des Internautes cubains n’est pas suffisant. Ne faudrait-il pas, en le disant, dire aussi que quiconque les muselle depuis l’extérieur est liberticide ?

RSF ne le fait pas, pas plus qu’elle ne tient compte, pour condamner d’autres pays pauvres, de la situation économique, politique, militaire, etc. On ne peut imposer aux pays du tiers monde, en vrac, même à ceux qui sont ruinés, sans infrastructures, menacés sur leurs frontières, confrontés à la guerre civile, qu’ils usent d’Internet comme le fait la France, grande puissance, pays riche aux frontières sûres et dotée de l’arme atomique. L’absence de mise en perspective, la décontextualisation, traduisent un parti pris et condamnent à l’impuissance les partisans d’une libéralisation nécessaire, lesquels ne sont pas tous absents des gouvernements des pays condamnés par RSF.

Le camouflet infligé par l’UNESCO n’est pas une première. Ci-dessous, on en trouvera d’autres de différentes natures, à imputer à des entités ou individus qui pourraient entrer dans la catégorie des « salopards », pour reprendre une terminologie Rsfienne (voir plus bas) qui reproche avec élégance à l’UNESCO, sa « lâcheté » pour s’être « déculottée ».

Les douze salopards.

1- Carl Gershman, le premier président de la NED (qui finance RSF) avouait en 1986 « Il serait terrible pour les groupes démocratiques du monde entier d’être vus comme subventionnés par la CIA [….]. C’est parce que nous n’avons pas pu continuer à le faire que la fondation (la NED) a été créée ».

2 - Allen Weinstein, qui a travaillé à la rédaction des statuts de la NED, déclarait en 1991 : « Beaucoup de ce que nous faisons maintenant a été fait en secret par la CIA il y a 25 ans ».

3- En 1994 Rony Brauman, un des fondateurs de RSF dénonçait le « climat pourri » qui règne dans l’association, notre dépendance à l’égard de la Commission européenne… ». Brauman déplorait également l’autoritarisme de Robert Ménard et la « dictature domestique qu’il fait régner sur RSF ».

4- l’hebdomadaire Marianne du 5/11 mars 2001 qualifie sarcastiquement de « formidable » et de « courageux » les propos de Ménard : Nous avons décidé de dénoncer les atteintes à la liberté de la presse en Bosnie et au Gabon et les ambiguïtés des médias algériens ou tunisiens…mais de ne pas nous occuper des dérives françaises. »

5- Le 20 mai 2003, l’ONU, a pris des sanctions sans précédent contre Reporters sans frontières, suspendue pour une période d’un an du Comité des Organisations Non Gouvernementales, organe du ECOSOC chargé de superviser le travail des ONG qui jouissent de relations consultatives dans le domaine économique et social des Nations unies.

6 - Le 9 juillet 2003, RSF a été condamnée par la Justice française pour détournement de la célèbre photo du Che par Korda. Le 10 mars 2004, RSF a été à nouveau condamnée pour non respect de la décision judiciaire.

7- En décembre 2003, RSF a été déclarée persona non grata lors des Sommets Mondiaux sur la Société de l’Information (SMSI) à Genève, puis en novembre 2005 à Tunis. Ces sommets sont organisés par l’Union internationale des télécommunications (UIT), agence spécialisée des Nations unies. « Je suis furieux » déclare alors Robert Ménard. Et d’ajouter : « J’attends que ces faux culs des Nations unies prennent leurs responsabilités » (Agence France-Presse, 16 novembre 2005). Au Club de la presse Suisse, il a alors traité les chefs d’Etats visés par RSF de « salopards ».

8- le 15 janvier 2004, la famille du cameraman espagnol José Couso, assassiné par un tir délibéré d’un char US contre son hôtel à Bagdad, exige que RSF se retire du dossier pour clause de flagrante complaisance envers les tueurs. Après enquête, RSF avait conclu que les trois militaires impliqués n’étaient pas coupables.

9- Le 16 janvier 2007, le juge madrilène Santiago Pedraz a émis un mandat d’arrêt international pour l’« assassinat » de José Couso à l’encontre de trois militaires américains acquittés par RSF.

10- le 13 avril 2006, le Figaro écrivait : « L’économie vénézuélienne est depuis deux ans la plus dynamique d’Amérique latine. Le produit intérieur brut (PIB) a crû de 17,9% en 2004... », contredisant un abrupt jugement politicien de Ménard à Miami (Nuevo Herald, 21 janvier 2004) : « Le gouvernement de Hugo Chávez est un échec, une catastrophe économique de promesses non tenues ».

11- Le 2 avril 2007, Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères était en visite à Cuba. C’est le plus haut responsable gouvernemental de l’UE à se rendre sur l’île depuis cinq ans. L’Espagne se moque ainsi de la proposition de Robert Ménard, rapportée par El Nuevo Herald du 20 janvier 2004 : « N’a-t-on pas bloqué l’accès aux comptes que les terroristes avaient dans les banques européennes. Pourquoi ne peut-on pas faire cela dans le cas de Cuba ? »

12- Et l’UNESCO (voir plus haut).

Heureusement il y a les amis.

Il reste à RSF la complicité de la quasi-totalité de la presse française, la générosité des oligarques qui la contrôlent et de quelques officines écrans de la CIA ainsi que les encouragements des Colin Powell qui, dans son rapport « Commission for Assistance to a free Cuba « (458 pages) remis à Bush en mai 2004, en appelle à chaque page aux ONG et n’en cite qu’une en exemple (dès la page 20), le bon élève : Reporters sans frontières (associating Reporters Without Borders).

Maxime Vivas

(Une partie des informations de cet article est puisée dans mon dernier livre : « La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux Faucons du Pentagone » Editions Aden).


LES JOURNALISTES AMERICAINS ET LES CRIMES DE GUERRE

Médias

16 octobre 2008

"il serait difficile de nier qu’ils ont du sang sur les mains"

Les journalistes étatsuniens et les crimes de guerre

DYER Peter

photo : Julius Streicher, pendu à Nuremberg. Profession : journaliste. Crime : propagande de guerre

Commentaire : Cette année les media d’information US ont salué l’ouverture d’un “Newseum” (musée du journalisme - ndt) de 450 millions de dollars à Washington dans une autocélébration du journalisme étatsunien. Pourtant, au lieu des claques dans le dos, les grands media US auraient pu exprimer quelques remords pour leur complicité dans la propagande de guerre de l’administration Bush qui a servi de justification à l’invasion de l’Irak.

Un journaliste indépendant, Peter Dyer, fait remarquer que le Tribunal de Nuremberg a considéré qu’un tel soutien médiatique à des crimes de guerre constituait lui-même un « crime ». Le 16 Octobre est un anniversaire qui devrait intéresser de près les journalistes qui ont soutenu l’invasion et l’occupation de l’Irak.


Il y a soixante-deux ans, le 16 octobre 1946, Julius Streicher fut pendu.

Streicher faisait partie d’un groupe de 10 Allemands exécutés au lendemain du premier procès du Tribunal de Nuremberg – un procès qui dura 40 semaines avec, au banc des accusés, 22 des nazis les plus importants. Chacun de ces accusés était jugé pour au moins deux des quatre crimes définis par la Charte de Nuremberg : crime contre la paix (agression), crime de guerre, crime contre l’humanité et conspiration.

Tous les condamnés à mort étaient d’importants officiels du gouvernement allemand ou des chefs militaires. Tous, sauf Streicher. Julius Streicher était journaliste.

Rédacteur en chef du journal violemment antisémite, Der Stürmer, Streicher fut jugé coupable et, selon les termes du jugement, « l’incitation au meurtre et à l’extermination, au moment même où les Juifs en Europe de l’Est se faisaient tuer dans les plus horribles conditions, constitue à l’évidence un crime contre l’humanité. »

Dans son plaidoyer contre Streicher, le procureur britannique Lieutenant Colonel M.C. Griffith-Jones déclara : « Monsieur de juge, il se peut que l’accusé n’ai pas été directement impliqué dans les crimes contre les Juifs… Nous soutenons néanmoins que son crime n’en est pas moins grave parce qu’il a rendu ces actes possibles, rendu ces crimes possibles, crimes qui n’auraient jamais été commis sans son soutien et celui de ses semblables. Il a mené la propagande et l’éducation du peuple allemand à cette fin. »

A Nuremberg, le rôle primordial joué par la propagande fut confirmé, non seulement par l’accusation et le jugement rendu, mais aussi par le témoignage du plus célèbre des accusés Nazis, le Reichsmarshall Hermann Goering :

« Les guerres modernes et totales se déroulent, à mon avis, selon trois axes : la guerre des armes sur terre, dans l’air et sur mer ; la guerre économique, qui est devenue une partie intégrante à toute guerre moderne ; et, troisièmement, la guerre de propagande, qui est aussi un élément essential de la guerre. »

Deux mois après l’exécution des condamnés à Nuremberg, l’Assemblée Générale des Nations Unies vota la résolution 59(I) qui déclare :

« La liberté de l’information requiert un élément indispensable qui est la volonté et la capacité d’en user sans en abuser. Elle nécessite comme principe de base l’obligation morale de rechercher les faits sans préjugés et de diffuser l’information sans intention malveillante. »

L’année suivante, une nouvelle résolution de l’Assemblée Générale fut adoptée : résolution 110 qui « condamne toute forme de propagande, dans tous les pays, qui tente de provoquer ou d’encourager toute menace contre la paix, toute violation de la paix ou tout acte d’agression. »

Les résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies n’ont pas force de loi, mais les résolutions 59 et 110 pèsent d’un poids moral considérable. Ceci parce que, comme l’ONU elle-même, ces résolutions constituent l’expression même d’une réaction à la brutalité et aux souffrances engendrées par deux guerres mondiales et le désir universel d’éviter de nouveaux massacres.

Crimes de propagande

La plupart des juridictions n’assimilent pas la propagande de guerre à un crime. Cependant, plusieurs journalistes ont récemment été condamnés pour incitation au génocide par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda.

Les efforts déployés pour criminaliser la propagande de guerre se heurtent à une résistance déterminée, particulièrement celle des Etats-Unis, et le combat est loin d’être gagné. Pourtant, sur le terrain purement légal, les choses sont claires : si l’incitation au génocide est un crime, l’incitation à l’agression, autre crime défini par Nuremberg, pourrait et devrait l’être aussi. Après tout, l’agression – le déclenchement d’une guerre sans provocation – est « le crime international par excellence qui ne se distingue des autres crimes de guerre qu’en ce qu’il englobe à lui tout seul l’ensemble des autres crimes, » selon les termes du jugement rendu à Nuremberg. Criminelle ou pas, une bonne partie du monde considère l’incitation à la guerre comme un acte moralement indéfendable.

A la lumière de ce qui précède et de la recette de Goering (une guerre, c’est des armes, une guerre économique et de la propagande) il est instructif d’examiner le rôle joué par les journalistes et les propagandistes de guerre étatsuniens dans le déclenchement et le soutien à la guerre.

L’administration Bush a commencé à vendre l’invasion de l’Irak au peuple étatsunien peu après le 11 septembre 2001. Afin de coordonner les efforts, le chef de cabinet de George Bush, Andrew Cars, créa au cours de l’été 2002 un Groupe Irak de la Maison Blanche (White House Iraq Group – WHIG) dont l’objectif était expressément le « marketing » de l’invasion de l’Irak.

Parmi les membres de ce groupes, on trouvait les personnalités médiatiques/propagandistes Karen Hughes et Mary Matalin [toute ressemblance avec la France n’étant que… - ndt] Le groupe WHIG était remarquable non seulement pour son mépris à l’égard de la vérité mais aussi par la candeur avec laquelle il reconnaissait mener une campagne de publicité. Un article du New York Times du 7 septembre 2002, intitulé « la Terreur tracée : la stratégie ; les assistants de Bush définissent une stratégie pour vendre leur politique », révéla :

« selon des officiels de la Maison Blanche, l’administration suivait un plan méticuleusement préparé pour convaincre l’opinion publique, le Congrés et ses alliés de la nécessité d’affronter la menace posée par Saddam Hussein… »

« selon les lois du marketing, » a dit Andrew H. Cars Jr, chef de Cabinet à la Maison Blanche et coordinateur du projet, « on ne peut pas introduire de nouveaux produits en plein mois d’aout. » Comme si le « produit » - l’invasion injustifiée d’un état souverain – n’était qu’un bien de consommation, une voiture ou une émission de télé. L’argument de vente inventé fut « le danger imminent » posé par les armes de destruction massive irakiennes. En d’autres termes, le travail du groupe WHIG était avant tout l’incitation à une guerre d’agression par le biais d’une propagande de la peur.

Dans ce esprit, le membre le plus éminent du WHIG, la Conseillère en Sécurité Nationale Conoleezza Rice, lors d’une interview accordée à Wolf Blitzer de CNN, brandit le spectre d’un holocauste nucléaire déclenché par l’Irak,

« Nous savons qu’il y a eu des livraisons à l’Iran, par exemple, - à l’Irak, par exemple, de tubes d’aluminium qui ne peuvent server qu’à – des tubes d’aluminium de haute qualité qui ne peuvent server qu’à la création d’armes nucléaires, à l’enrichissement de l’uranium… Le problème est que nous ne saurons jamais exactement à quel moment (Saddam Hussein) pourra disposer d’armes nucléaires. Mais nous ne voulons pas voir ces soupçons se transformer en champignon atomique ».

Cette image de champignon atomique fut une des plus marquantes de toute la guerre de propagande de la Maison Blanche. Elle fut inventée par Michael Gerson quelques jours plus tôt lors d’une réunion du groupe WHIG. La présence d’armes de destruction massive en Irak constituait la clé de voute de la campagne de l’administration Bush. D’autres éléments importants étaient les liens entre Saddam Hussein et Al Qaeda et par conséquence l’implication de l’Irak dans les tragédies du 11 Septembre.

Tout était faux. Mais en termes de propagande, il y a vérité lorsqu’on réussit à vendre le produit.

SOUMISSION DES MEDIAS

Le rôle joué par les grands média US au cours des préparatifs de l’invasion contre l’Irak fut marqué par leur soumission généralisée à l’administration Bush et leur abandon des devoirs les plus fondamentaux quant à l’opinion publique. Cette responsabilité est affirmée non seulement par la résolution 59 mais aussi par le Code d’Etique de l’Ordre des Journalistes Professionnels, qui précise : « les journalistes doivent vérifier la véracité de l’information de toute source et doivent veiller à ne pas commettre une erreur involontaire. »

Judith Miller, journaliste influente au New York Times, en s’abstenant de vérifier l’information, a joué un rôle dans la campagne de l’administration Bush visant à convaincre l’opinion publique US d’attaquer un pays qui ne représentait aucune menace. Bien qu’elle n’ait pas été la seule, et loin de là, Miller a probablement eu une responsabilité plus grande que tout autre journaliste pour avoir distillé la peur devant des armes de destruction massive imaginaires. [ndt : le New York Times a finalement licencié Judith Miller pour non respect de la déontologie – pour l’affaire Valery Plame notamment. L’auteur de cet article semble sous-estimer le travail conscient et volontaire entrepris par Judith Miller dans la guerre contre l’Irak.] A cet égard, elle, comme d’autres journalistes influents qui faillirent, porte sa part de responsabilité morale, sinon pénale, pour les centaines de milliers de morts, les millions de réfugiés et tout le carnage, destruction et souffrances humaines de l’opération « Liberté pour l’Irak ».

Cela dit, certaines personnalités éminentes des medias étatsuniens ont fait beaucoup plus que d’omettre la vérification des sources. Certains ont activement et passionnément encouragé les étatsuniens à commettre et/ou approuver des crimes de guerre, avant et pendant l’agression contre l’Irak.

Parmi les plus connus, on trouve Bill O’Reilly de Fox News qui – à la fois pour l’Afghanistan et l’Irak – a soutenu des crimes interdits par la convention de Genève tels que les punitions collectives contre les civils (Gen. Con. IV, Art. 33) ; l’attaque de cibles civiles (Protocol I, Art. 51) ; la destruction des réserves d’eau (Protocol I Art. 54 Sec. 2) et même la famine (Protocol I, Art. 54 Sec. 1).

Le 17 septembre 2001 : « les Etats-Unis devraient bombarder les infrastructures de l’Afghanistan et les réduire en miettes : l’aéroport, les centrales électriques ; les réserves d’eau, les routes » s’ils refusent de livrer Ben Laden aux Etats-Unis. Plus tard, il ajouta : « Ce pays est très primitif. Et leur retirer la capacité d’exister au quotidien ne sera pas compliqué… Il ne faut pas viser les civils. Mais s’ils ne se soulèvement pas contre leur gouvernement criminel, ils crèveront de faim, point final ».

Le 26 mars 2003, quelques jours après le déclenchement de l’invasion de l’Irak, O’Reilly a déclaré : « Certains pensent que nous aurions du accorder aux habitants de Bagdad 48 heures pour évacuer la ville, les avertir en larguant des tracts et en diffusant des messages à la radio et tout ça. Vous avez 48 heures pour dégager, après nous rasons la ville. » [voir Peter Hart “O’Reilly’s War : Any rationale—or none—will do” chez Fairness & Accuracy in Reporting, Mai/Juin 2003]

Punition collective

Un autre journaliste très influent, lauréat du prix Pulitzer et ancien rédacteur en chef au New York Times, le feu A.M. Rosenthal, a aussi défendu les attaques contre des cibles civiles et les punitions collectives dans le cadre de la guerre contre les nations musulmanes du Moyen-Orient. Le 14 septembre 2001, dans un article intitulé « Comment les Etats-Unis peuvent gagner la guerre », Rosenthal écrivit que les Etats-Unis devraient laisser à l’Afghanistan, l’Irak, la Lybie, la Syrie et le Soudan trois jours pour réfléchir à un ultimatum leur enjoignant de livrer tous les documents et informations relatifs aux armes de destruction massive et les organisations terroristes. Pendant ces trois jours, « les habitants de ces pays seraient encouragés 24/24h par les Etats-Unis d’évacuer la capitale et les grandes villes, parce qu’à l’aube du quatrième jour, tout serait rasé. »

Figure médiatique de la droite, Anne Coulter, à l’émission Sean Hannity Show le 21 juillet 2006, appela à une autre guerre et à plus de représailles contre les civils, cette fois contre l’Iran. « Eh bien, je n’arrête pas d’entendre dire que nous ne trouvons pas le matériel nucléaire, et qu’il pourrait être enterré dans des grottes. Et si nous les bombardions de fond en comble jusqu’à qu’ils ne puissent même plus construire un poste de radio ? Alors ça n’aurait plus d’importance s’ils possèdent le matériel nucléaire. »

Cette pratique des personnalités des grands média US qui consiste à promouvoir des guerres d’agression date d’avant le 11 Septembre. Thomas Friedman, trois fois lauréat du prix Pulitzer, a publié un appel virulent en faveur de crimes de guerre, dont la punition collective des Serbes et la destruction de leurs réserves d’eau, au moment de la crise du Kosovo :

« Mais si la seule force de l’OTAN est celle de pouvoir bombarder sans fin, alors il faut en tirer le maximum. Passons à une vraie guerre aérienne. Que l’on puisse encore organiser des concerts de rock à Belgrade, ou faire des promenades du dimanche, tandis que d’autres Serbes « nettoient » le Kosovo, est scandaleux. Belgrade devrait être une ville plongée dans le noir : chaque centrale électrique, chaque aqueduc, chaque pont, chaque route et chaque usine en rapport avec la guerre doit être visée.

Que ça vous plaise ou non, nous sommes en guerre contre la nation Serbe (et les Serbes sont d’accord là-dessus), et les enjeux doivent être très clairs pour eux : pour chaque semaine que vous passez à ravager le Kosovo, nous vous pulvériserons dix ans en arrière. Vous voulez retourner à 1950 ? Nous pouvons vous faire retourner à 1950. Vous préférez 1389 ? Va pour 1389. » [New York Times, avril 1999]

Ces commentaires à l’emporte-pièce, parfois même sur le ton de la plaisanterie, sur l’imposition d’une guerre contre des pays relativement faibles, sont formulés par des journalistes et personnalités étatsuniens au sommet de la profession. Chacun touche un public de plusieurs millions. Il est difficile d’exagérer leur influence.

Pour ne parler que de ces dix dernières années, les destructions et les massacres engendrés par le « crime international par excellence » de l’agression US ont été facilités par cette influence insouciante, irresponsable et/ou malveillante. Malheureusement, les paroles du Procureur de Nuremberg Griffith-Jones sur la propagande du journaliste allemand Julius Streicher s’appliquent aujourd’hui pour certains des journalistes les plus influents d’un pays qui, il y a 60 ans, représentait un espoir à Nuremberg :

Streicher « a rendu ces actes possibles, rendu ces crimes possibles, crimes qui n’auraient jamais été commis sans son soutien et celui de ses semblables. »

En 1947, l’Assemblée Générale des Nations Unies adopta la résolution 127 dans laquelle « l’Assemblée Générale … invite les gouvernement des états membres … à étudier les mesures à prendre au niveau national, dans le cadre de la légalité constitutionnelle, contre la diffusion d’informations fausses ou déformées qui seraient en mesure de porter atteinte aux relations d’amitié entre deux états. »

Malheureusement, 60 ans plus tard, peu de progrès ont été accomplis. La propagande de guerre est toujours légale et très vivante – florissante même, comme on peut le constater dans les appels réitérés à envahir un autre pays qui n’a jamais menacé les Etats-Unis : l’Iran.

Dans l’état actuel des choses, avec les Etats-Unis qui sont toujours la plus grande puissance militaire au monde, les propagandistes étatsuniens qui ont permis l’invasion de l’Irak et d’autres guerres d’agression n’ont pas de souci à se faire quant à leur responsabilité devant les principes de Nuremberg. Et pourtant, il serait difficile de nier qu’ils ont du sang sur les mains.

Peter Dyer

Traduction VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

Article original
http://www.consortiumnews.com/2008/...