TRADUCTION AUTOMATIQUE

CHILI, 35 ANS APRES..........................

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Chili, 35 ans après...

Patricia Parga-Vega Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

Mardi 11 septembre 1973, le destin de toute une nation et l’espoir d’un continent vont basculer, tout comme le cours de l’histoire…

8 septembre 2008


La disparition forcée, la torture, la prison politique et la délation inaugurent une étape considérée comme « brillante » par les Etats-Unis. Le président Salvador Allende Gossens paya de sa vie l’obstination à mener à bien le mandat confié par son peuple et devint, pour le monde entier, un symbole de dignité.

Bien que son gouvernement n’ait pas duré la moitié de son mandat, Allende a été l’une des figures les plus décisives de l’histoire du Chili du vingtième siècle.

Aujourd’hui, depuis les entrailles du pouvoir nord-américain comme le Church Inform, les documents déclassifiés de la CIA ou les mémoires personnelles d’autorités proches de Nixon, nous avons connaissance avec certitude de l’opération sanglante préparée patiemment pendant dix ans par les Etats-Unis (1963-1973).

Dès la reconnaissance du succès d’Allende par le Sénat chilien, deux réunions ont lieu aux USA, les 8 et 14 septembre 1970. A ces mêmes dates, le président de Pepsi-Cola, Donald M. Kendall, marque son empreinte dans cette tragique histoire. Le 14 septembre, dix jours après l’élection présidentielle chilienne, Kendall se rend à la Maison Blanche et demande à Nixon, qui avait travaillé comme avocat pour Pepsi-Cola, qu’il accorde une audience extraordinaire à un ami et collègue chilien : Agustín Edwards, le propriétaire d’un des journaux les plus influents du Chili : El Mercurio. La relation Nixon/Kendall était basée sur une dette politique et comme les dettes se paient… Kendall avait reconstruit politiquement Nixon après son échec à la course pour la Californie, et l’avait soutenu jusqu’à la Maison Blanche.

Répétition d’une scène souvent vécue en Amérique latine : le pouvoir des transnationales cherchant à infléchir le cours de l’histoire en leur faveur et dans leurs intérêts, au mépris des coûts humains et en s’associant pour cela avec les acteurs locaux ultraconservateurs.

La réunion Nixon/Kendall eu lieu dès le lendemain 15 septembre 1970, ce qui indique clairement la priorité de l’affaire pour la Maison Blanche. Le puissant impresario chilien Agustín Edwards demande l’aide des Etats-Unis pour éviter le désastre au Chili (1). Kissinger attribue au chilien Edwards la responsabilité d’avoir fait pression sur Nixon, de l’avoir « chauffé » pour qu’il décide d’actions drastiques. Après cette entrevue, Nixon se réunit ce même jour, avec Kissinger, le Général Attorney John Mitchell- qui se trouvait là à titre privé et non officiellement- et Richard Helms, directeur de la CIA, qui enregistra quelques notes de cette réunion :
Même s’il n’y a qu’une chance sur dix, sauvez le Chili.
-Dépenses illimitées.
-Peu importe les risques à courir.
-Ne pas impliquer l’ambassade.
-Dix millions de dollars disponibles, plus si nécessaire.
-Travail à temps plein avec à disposition les meilleurs hommes.
-Elaborer un plan stratégique avec toutes les variantes possibles.
-Faire crier de douleur l’économie chilienne.
-48 heures pour le plan d’action.

« Lors de cette rencontre, Nixon nous ordonna, à nous trois, de n’informer de ces instructions ni le secrétariat d’Etat, ni le secrétariat de Défense, ni l’ambassadeur au Chili, ni le chef de la CIA au Chili. Ce fut le plus grand secret jamais tenu dans ma carrière » assura Richard Helms en écrivant ses mémoires.
Le Church Inform nota ainsi le résultat de cette entrevue : « Le 15 septembre, le Président Nixon informe le directeur de la CIA, Richard Helms, que le gouvernement d’Allende n’est pas acceptable pour les Etats-Unis et mandate la CIA pour qu’elle joue un rôle direct en organisant un coup d’état au Chili afin d’éviter qu’Allende n’accède à la présidence».

Ce qui fut consigné par le directeur de la CIA lui-même, dans ses mémoires : « Le Président m’ordonna de fomenter un coup d’état militaire au Chili, un pays jusqu’alors démocratique »(2). Il ajouta dans ses notes que « ni Nixon, ni Kissinger ne s’embarrassaient des risques que cela supposait ». Néanmoins cette première étape destinée à éviter la présidence d’Allende, échoua, ce qui déclencha une deuxième réunion d’urgence. A ce niveau, comme conclusion du Church Inform, avec Allende installé à la Moneda, tous les efforts de la Maison Blanche « étaient orientés vers le coup d’Etat militaire ».

Le résultat de cette manœuvre US engendre aujourd’hui, 35 ans après les faits, les réflexions intéressantes et inédites de quatre intellectuels chiliens bien placés, sur une lecture de l’histoire, sur les conséquences actuelles, au Chili, de la victorieuse stratégie des Etats-Unis, sur son perfectionnement et son incursion dans d’autres pays du tiers monde, sur la nécessaire mémoire historique et sur le rôle des médias.
(1)Henry Kissinger, White House Years (Brown, Boston : Little, 1978)
(2)Richard Helms, A Look over my Shoulder (New York: Random House, 2003)


Patricia Parga-Vega est journaliste, membre de l'équipe Investig’Action.


Traduction: José Gregorio, Investig’Action.

GEORGIE, LA LIBERTE MADE IN USA

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Géorgie, la liberté made in USA

Tommaso Di Francesco, Manlio Dinucci Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

« La Georgie est aujourd’hui un phare de liberté pour cette région et pour le monde », disait le président Georges Bush lors de sa visite à Tbilissi en mai 2005. A quoi tient une telle reconnaissance de la part de la Maison Blanche?
Au fait que ce petit pays de 4 millions d’habitants est devenu un avant-poste de la pénétration étasunienne en Asie centrale ex-soviétique : zone d’immense importance à cause de ses réserves de pétrole et de sa position géostratégique entre la Russie, la Chine et l’Inde.

16 août 2008


C’est le pétrole de la Caspienne qui alimente le « phare de liberté » de la Georgie.
C’est là que passe l’oléoduc qui relie le port azéri de Baku, sur la mer caspienne, au port turc de Ceyhan, en Méditerranée : un « couloir énergétique » décidé en 1999 par l’administration Clinton et ouvert en 2005, qui contourne la Russie par le sud, sur une distance de 1800 kilomètres. Pour protéger l’oléoduc, réalisé par un consortium international dirigé par la société britannique BP, le Pentagone a entraîné des forces de sécurité géorgiennes de « riposte immédiate ».
Depuis 1997 en effet, le « phare de liberté » de la Georgie est aussi alimenté par Washington d’un flux croissant d’aides militaires.

Avec le « Georgian Train and Equip Program », lancé en 2002, le Pentagone a transformé les forces armées géorgiennes en une armée à ses ordres. Pour mieux l’entraîner, un contingent de 2000 hommes des forces spéciales géorgiennes a été envoyé, pour combattre, en Irak, et un autre en Afghanistan. Selon des sources du Pentagone, citées par le New York Times (9 août), il y a actuellement en Géorgie plus de 2.000 citoyens étasuniens, dont environ 130 instructeurs militaires. C’est en Georgie qu’a commencé en juillet dernier l’opération « Immediate Response », une manœuvre militaire à laquelle participent des troupes étasuniennes, géorgiennes, ukrainiennes, azéries et arméniennes.
Pour cette opération, dirigée par le Pentagone, sont arrivés en Georgie environ 1000 soldats étasuniens appartenant aux bataillons aéroportés Setaf, aux marines et à la Garde nationale de l’Etat de Géorgie (USA). Ces troupes ont été basées à Vaziani, à moins de 100 kilomètres de la frontière russe. On imagine ce qui arriverait si la Russie déployait ses troupes au Mexique, à la même distance de la frontière étasunienne.

Par ailleurs, le « phare de liberté » a été alimenté par la « révolution des roses » qui, planifiée et coordonnée par Washington, avait provoqué la chute du président Edouard Chevardnadze. Selon le Wall Street Journal (24 novembre 2003) l’opération avait été conduite par des fondations étasuniennes officiellement non gouvernementales, en réalité financées et dirigées par le gouvernement étasunien, qui « éduquèrent une classe de jeunes intellectuels capables de parler anglais, assoiffés de réformes pro-occidentales ».
Sur le plan militaire, économique et politique, la Géorgie est contrôlée par le gouvernement étasunien, ce qui signifie que l’attaque contre l’Ossétie du Sud a été programmée non pas à Tbilissi mais à Washington. Avec quels objectifs ? Mettre en difficulté la Russie, vue depuis Washington avec une hostilité croissante du fait, aussi, de son rapprochement avec la Chine. Renforcer la présence des USA en Asie Centrale.
Créer en Europe un autre foyer de tension qui puisse justifier une expansion ultérieure de la présence militaire étasunienne, dont le bouclier anti-missiles est un élément clé, et l’élargissement de l’OTAN vers l’est (sous peu la Georgie devrait justement entrer dans l’Alliance qui est sous commandement US).

Ce que Washington craint, et essaie d’éviter, c’est une Europe qui, en réalisant son unité et en acquérant, ensuite, une force économique plus grande, puisse un jour se rendre indépendante de la politique étasunienne. D’où sa politique de diviser pour régner, qui est en train de conduire l’Europe à un climat de guerre froide. D’où aussi sa politique des deux poids deux mesures : tandis q u’elle revendique, reconnaît et défend l’indépendance du Kosovo, contre la souveraineté serbe, au détriment du respect des frontières internationales – qu’on imagine ce qui se serait passé si la Serbie avait attaqué Pristina en février juste après la proclamation unilatérale d’indépendance par le Kosovo- Washington refuse celle de l’ Ossétie du sud, en affirmant « le soutien de la communauté internationale à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Géorgie ».

Source: Il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

CONFLIT RUSSE-AMERICAIN

Pourquoi l'Ossétie et l'Abkhazie intéressent la Géorgie, pourquoi la Géorgie

intéresse les USA

Nicolas Bárdos-Féltoronyi Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

Le différend apparent entre la Russie et la Géorgie concerne des territoires que l’on appelle l'Ossétie du Sud et l’Abkhazie. En tant que telle, l’Ossétie historique s’étend aux deux côtés du Caucase. La partie au sud est située à la frontière méridionale de la Russie qui ne reconnaît pas la souveraineté du territoire mais qui continue à maintenir des relations et récemment, à renforcer ses liens. De son côté, l’Abkhazie se situe entre la Russie et la mer Noire, à l’ouest des chaînes du Caucase.

Titre original : Conflit russo-américain dans la Caucasie méridionale dont la Géorgie

Antécédents récents et guerre brève

Depuis l'indépendance de la Géorgie vis-à-vis de l'URSS en 1991, l'autonomie accordée aux Ossètes du Sud a été supprimée par l'État géorgien, provoquant l'exode de la population vers la république d'Ossétie du Nord. En1992, un territoire du côté de la mer Noire déclare l’indépendance sous le nom de la République autonome d'Abkhazie, profitant de la faiblesse du nouvel État géorgien. Cette dernière bénéficie le soutien de Moscou. En 1994, les nationalistes ossètes proclament, à leur tour, l'indépendance de l'Ossétie du Sud, avec la bénédiction de la Russie.

Depuis l’avènement d'un pouvoir pro américain à Tbilissi en 2003-4, l'Ossétie du Sud est un des enjeux politiques entre la Russie et le président géorgien Mikheil Saakachvili « guidé » par les USA. De plus en plus autoritaire(1) , le président revendique la réintégration des régions considérées sécessionnistes au sein du territoire de la Géorgie. Les indépendantistes ossètes, majoritaires en Ossétie du Sud, ambitionnent une indépendance complète. La Fédération de Russie préfère garder le statu quo et ainsi laisser le pouvoir géorgien, tourné résolument vers Washington, dans l'embarras. Les indépendantistes d'Ossétie du Sud souhaitent une réunification avec l'Ossétie du Nord, mais ni la Fédération de Russie, ni l'OSCE et encore moins la Géorgie ne soutiennent encore cette solution.

La République d'Ossétie du Sud a tenu un deuxième référendum sur son indépendance le 12 novembre 2006, le premier référendum ayant eu lieu en 1992. Une très large majorité des votants semblent s'être prononcés pour cette indépendance. Le gouvernement géorgien, les USA et l'UE considèrent ce référendum comme illégal alors que la Russie le reconnaît. La Russie est dès à ce moment-là présente sur ce territoire à titre du « maintien de la paix » avec 1000 soldats (2). Après plusieurs incidents militaires depuis 2007 (3), les forces géorgiennes lancent une offensive soigneusement préparée en août 2008, entraînant une menace d'interventions, suivie d’interventions des Forces armées de la fédération de Russie (Reuters, 7.8.2008, NZZ, 11 et 22.8.2008 & FT, 8, 9, 11.8.2008) (4) . Cette intervention s’étend même sur l’autre territoire contesté : l’Abkhazie .(5) L’offensive géorgienne rencontre une contre offensive russe qui conduit à l’échec de Tbilissi, échec humiliant pour les conseillers militaires américains et israéliens (FT, 12.8.2008).

Les autorités s'abstiennent pour l'instant d'analyser cette défaite écrasante de l'armée géorgienne qui ne s'est pas montrée à la hauteur de l'adversaire malgré l'assistance des USA et une hausse importante des dépenses militaires ces dernières années, soit de 5 à 16% du PIB. Washington a dépensé des millions de dollars pour la formation militaire, l'équipement et l'armement de la Géorgie. Au moment de la nuit de l’attaque, l’armée géorgienne a utilisé les rampes et véhicules lance-missiles sol-air en série, de style "Katiouchkas", probablement d’origine tchèque ou ukrainienne.
C’est de cette manière qu’elle a pu détruire une partie notable de la capitale d’Ossétie du Sud et tuer ou blesser un grand nombre de civils (NZZ, 22.8.2008). Par après, la supériorité russe dans l'air a cependant été cruciale. Les Géorgiens étaient incapables d'y faire face avec leur système de défense antiaérien.
La Russie a déployé des avions d'attaque au sol Su-24 et Su-25, ayant pour tâche d'apporter une couverture aux forces terrestres et de détruire les troupes et infrastructures ennemies. Moscou avait aussi déployé des bombardiers stratégiques Tu-22. La Géorgie ne dispose que de 10 à 15 appareils Su-25 dont certains ont été détruits et les autres immobilisés après les attaques russes contre les aéroports militaires du pays. Elle s’est concentrée sur l'infanterie et les chars qui sont inutilisables s'ils ne sont pas couverts depuis le ciel.



Position spécifique de la Géorgie

La Géorgie était susceptible de constituer une des pièces du dispositif de Washington contre l’Iran autant qu’un des facteurs de démantèlement de la Russie et de sa zone d’influence. Washington envisageait notamment d’installer de nouvelles bases en Géorgie ou en Azerbaïdjan. La Géorgie est un verrou stratégique de la Caucasie méridionale .(6)
La Géorgie est placée stratégiquement au coeur des réseaux gazoducs et oléoducs. L'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) entre l'Azerbaïdjan et la Turquie fournit le pétrole de la Caspienne. De moindres volumes passent par l'oléoduc entre Bakou et le port géorgien de Soupsa. Les ports géorgiens constituent une plate-forme du pétrole de la Caspienne venant d'Azerbaïdjan, du Turkménistan et du Kazakhstan. Le gaz à destination des Européens transite aussi par la Géorgie, notamment via le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum entre l'Azerbaïdjan et la Turquie.

Rappelons que
• Tbilissi passe vers 2004 un accord avec Washington en vertu duquel les USA privatisent leur présence militaire en Géorgie en passant un contrat avec des officiers militaires américains à la retraite, afin qu’ils équipent et conseillent l’armée géorgienne. C’est la société américaine Cubic qui obtient le contrat de trois ans. Ce programme prend le relais de la collaboration avec Washington entamée sous Chevardnadze en 2002, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Les conseillers militaires états-uniens se voient également confier comme mission d’améliorer la sécurité du pipeline du BTC. En contrepartie, la Géorgie envoie 500 hommes soutenir les forces d’occupation en Irak et le nombre en augmentera jusqu’atteindre 2000.
• la Géorgie bénéficie aussi depuis des années du soutien militaire important d’Israël et de l’Ukraine, ainsi que quelques autres pays « satellites » des USA.



Conflits actuels multiples

Le conflit armé actuel commence, comme d’habitude, par des déclarations selon lesquelles l’un n’a fait que répondre à l’attaque de l’autre. Depuis juillet 2008, il est précédé de
◊ nombreux déplacements d’officiels américains dont Condoleeza Rice et bien d’autres officiels américains, et
◊ exercices militaires auxquels participent notamment 1000 + 300 soldats ou instructeurs américains ou israéliens qui donnent la possibilité de Washington de soutenir le gouvernement géorgien et qui sont situés à la base militaire de Vaziani, dans les faubourgs de Tbilissi.
De son côté, la Russie a tout intérêt de vouloir stopper les avancées des USA dans la Caucasie méridionale craignant
o l’encerclement par les USA seuls ou grâce à l’OTAN,
o l’utilisation militaire intempestive du couloir aérien par Washington,
o la pénétration des compagnies pétrolières et gazières vers l’Asie centrale (FT, 15.7.2008).
Les stopper ne lui est guère facile. Certes, la Russie se retrouve parmi les « grands », mais sa puissance militaire ou économique n’égale pas celle des USA, ni celle de l’UE. En termes de brutalités de l’intervention, la Russie est « un petit débutant » en Géorgie, si l’on la compare aux USA en Afghanistan et en Irak. À court terme, l’objectif russe vise la destruction du matériel et des infrastructures, ainsi que des bases militaires sur le territoire géorgien,
Revenant au conflit actuel en Caucasie méridionale, ce conflit me rappelle celui qui a eu lieu en Croatie en 1995. D’une part, la Croatie comme la Géorgie bénéficia d’aides militaires massives et du soutien verbal de la part de Washington tel que : « The American people will stand with you », dixit Bush II. D’autre part, les deux débutent en mois d’août lorsque les médias sont absents ou distraits par d’autres choses, en l’occurrence à l’heure actuelle par les Jeux Olympiques à Beijing. Enfin, à l’époque, l’attaque des Croates contre les Serbes et l’expulsion de près de 200 000 Serbes de la Croatie se sont déroulées avec l’appui d’état-major du quartier général militaire des USA à Zagreb, tandis que maintenant il y a 1000 soldats américains auxquels s’ajoutent 130 instructeurs américains et israéliens, qui y interviennent directement ou indirectement.

La différence pourra en être à présent la position et la possibilité d’agir plus fortes de la Russie. L'intérêt à plus long terme de la Russie, qui a commencé de se préparer aux Jeux Olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, commanderait d'œuvrer d’abord avec fermeté, puis à l'apaisement, sans perdre d’influence ni de face. Site touristique prisé, Sotchi est située à proximité des zones troublées de Tchétchénie et d'Abkhazie. Le gouvernement russe a déjà débloqué plus de 6-7 milliards d’euros pour préparer la ville aux Jeux. Une autre différence serait que les milieux dirigeants de Washington pourraient, de leurs côtés, s’avérer divisés et donner des signaux opposés à Tbilissi.

Enfin, il n’est pas sans utilité de remarquer que la Géorgie depuis 2004 adopte et applique le modèle néolibéral, et plus particulièrement, américain dans sa gestion dite socio-économique : déréglementation, réduction de l’administration et des impôts. Par exemple, le pouvoir prévoit de privatiser massivement les universités d’ici à 2010, et de créer des liens plus étroits avec les entreprises et les donateurs privés susceptibles de financer ces établissements. Le secteur de la santé devrait lui aussi passer aux mains de capitaux privés. Plus de 1 800 entreprises ont été privatisées entre 2004 et l’année 2008. Cette gestion désastreuse pèse évidemment sur la popularité du régime actuel et détériore sa légitimité. Elle aurait été à l’origine de la politique de fuite en avant du gouvernement, de vouloir récupérer les régions contestées.
Réintégrer les deux territoires en sécession parut à Tbilissi également impératif pour réaliser l’objectif de la politique étrangère géorgienne, l’adhésion à l’OTAN. En reportant la décision pour celle-ci au décembre 2008, le sommet de l’OTAN d’avril 2008 a rendu cette réintégration d’autant plus urgente pour le gouvernement géorgien. Pour celui-ci, le revers politico-militaire laisse entrevoir des règlements de comptes politiques après le conflit armé qui a tourné au désastre pour le pays .(7)


Évolutions géopolitiques

Depuis la chute du « rideau de fer » entre 1989 et 1991, les épreuves stratégiques entre les USA et la Russie peuvent se résumer comme suite :
➢ les avancées remarquées de l’OTAN vers le centre et de l’est de l’Europe,
➢ l’installation du système anti-missiles en République Tchèque et en Pologne (8)
➢ la présence militaire de Washington en Irak et en Afghanistan, même si elle est incertaine,
➢ les « révolutions » orange en Ukraine et rose en Géorgie soutenue par des « ONG » gouvernementales américaines.
Face à cela, la Russie enregistre
• la non extension du réseau de bases américaines au centre de l’Asie,
• la reprise en main économique, administrative et militaire du pays,
• les alliances développées avec la Chine et les pays d’Asie centrale avant tout, mais aussi avec l’Inde et l’Iran, pays où l’influence américaine recule (FT, 3.8.2008 & NZZ, 11.8.2008).

Par contre, la Russie en position encore relativement faible est « titillée » à ses frontières au sud et à l’ouest, alors que les USA s’embourbent dans des conflits qu’ils ont suscités eux-mêmes tels que la « lutte contre le terrorisme » en Afghanistan, en Irak ou en Somalie. La Russie pourrait néanmoins arrêter l’autorisation de survol de son territoire par les forces de l’OTAN vers l’Afghanistan. Depuis le 18.8.2008, elle organise un exercice militaire en Arménie dont le thème tourne autour de l’assistance et le soutien militaires à ce pays en cas d’agression contre lui.

L’affaire géorgienne est un cadeau du ciel pour Moscou. On y évoque évidemment le précédent de Kosovo pour revendiquer l’indépendance d’Ossétie du sud et d’Abkhazie. L’Azerbaïdjan s’affiche comme pays ± neutre, alors que l’Arménie penche vers la Russie. L’objectif de la Russie dans le cas de la Géorgie pourrait être de la rendre simplement plus neutre stratégiquement, voire maintenir une certaine instabilité dans la Caucasie méridionale aussi longtemps que Moscou ne réussisse pas faire entrer dans la région les multinationales russes du secteur énergétique. Par ailleurs, on peut être certain qu’en Asie centrale, en Ukraine ou en Azerbaïdjan, les gouvernements suivent de très près les événements dans cette région. Israël pourrait aussi réviser sa politique du soutien en faveur de la Géorgie.

Washington disposerait d’une panoplie de mesures dans le présent contexte et notamment:
• insister l’UE de suspendre ses négociations « stratégiques » avec la Russie,
• exclure la Russie de certains débats internationaux et l’empêcher son entrée à l’OMC,
• impliquer la Géorgie dans les programmes d’action de l’OTAN,
• étendre des patrouilles des avions de combats de l’OTAN au-dessus du territoire « entier » de la Géorgie.
À supposer qu’elles soient applicables, beaucoup de ses mesures servent aux USA de ne pas apparemment s’impliquer directement dans le conflit mais y impliquer les pays membres d’Europe et pour aussi leur faire financer les opérations. Il convient de voir si les différentes négociations ne sont, comme d’habitude, pas dans l’intérêt de chaque partie. Il faut cependant dire que les coups de force tels que l’actuel en Caucasie méridionale laisse peu de choix à l’UE. Celle-ci ne peut guère se mettre franchement du côté de la Russie. Une telle attitude serait une atteinte directe contre la position des USA et le capitalisme que ces derniers représentent et que l’UE ne combat guère.

Il reste que l’UE avance petit à petit en termes politiques et construit une force socio-économique. De plus en plus, elle devient politiquement plus autonome de par sa propre logique interne. Recréer un climat de guerre froide est une tentative de renforcer les USA et de justifier la présence militaire américaine sur le territoire de l’UE. Ainsi, cette dernière deviendrait une sorte de « bouclier » dans l’affrontement de Washington par rapport à Moscou.

La prise de parole d’une opposante géorgienne (9)

Dans cette analyse, il m’a semblé utile de reprendre quelques déclarations d’une femme politique importante de l’opposition géorgienne sous forme d’une série d’extraits:

„… C'est après la signature de l'accord que les forces russes ont porté trois coups très durs à l'économie, et donc à l'indépendance géorgienne.
Ces trois coups sont : le bombardement à la hauteur de Kaspi (40 km de Tbilissi) de la voie ferrée qui constitue la principale artère du commerce est-ouest de la Caspienne vers la mer Noire et la source principale des revenus de l'Etat ; les bombardements et la destruction des infrastructures du port de Poti venant après ceux du terminal portuaire de Kulevi et l'attaque du pipeline BTC visant à paralyser les exportations pétrolières ; le déversement par hélicoptère de trois bombes incendiaires sur le parc naturel de Borjomi, l'un des principaux sites touristiques, qui se lit comme un acte de froide vengeance contre les richesses naturelles.

Transit pétrolier et gazier, transit commercial, tourisme, infrastructures portuaires : la Russie sait très exactement frapper là où ça fait mal. Tout aussi précises étaient les frappes de la phase militaire qui a précédé et détruit l'ensemble des infrastructures militaires du pays (les bases de Senaki et de Gori, le centre de Vaziani, les aérodromes militaires de Marneuli, de Kopitnari, les vedettes des garde-côtes stationnées à Poti, les centres de communication ; les bases de forces spéciales sur les hauteurs de Tbilissi à Kojori)…

… Si ces noeuds stratégiques (Senaki, Gori, centrale de l'Enguri, Poti) doivent être tenus par d'autres que les Géorgiens, il importe qu'ils le soient par des forces d'observation indépendantes et impartiales. Toute autre solution pourrait enclencher une dynamique de résistance et de guerre de tranchées, comme c'est le cas dans toutes les nations occupées. La communauté internationale devra donc d'abord empêcher ces dérives, puis aider à reconstruire le pays. Il en va de la possibilité pour ce pays de recouvrer les moyens de son indépendance.
Mais l'indépendance, c'est aussi et surtout l'expression de la volonté politique d'un pays, sa capacité à faire entendre sa voix et à restaurer sa crédibilité internationale à la veille de l'autre négociation plus vitale encore qui va porter sur son intégrité territoriale… Il est donc urgent que la liberté des médias et la vie politique soient rétablies. Les partenaires européens doivent l'exiger… Mais les grandiloquences verbales géorgiennes semblent tout aussi dérisoires après l'ampleur de la défaite subie.

… Que représentent réellement l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie pour la Géorgie? Ce sont l'Alsace et la Lorraine de la Géorgie... Quels sont les intérêts économiques en jeu? L'Ossétie du Sud a surtout une valeur stratégique du fait du tunnel de Roki, voie d’accès directe de la Russie vers le Caucase et le coeur de la Géorgie. L'Abkhazie, elle, riche en potentiel touristique et peut-être dotée de réserves de pétrole et de gaz offshore non encore explorées, représente un accès portuaire à la mer Noire dont est désormais dépourvue la Russie. Cette dernière ne conserve en effet que le port de Novorossisk et des droits limités dans le temps à Sébastopol [en Ukraine]. Les experts militaires insistent surtout sur l'importance de la base russe de Goudaouta, dans le nord de l'Abkhazie, qui recèlerait une base souterraine d'essais nucléaires.

… La signature par la Russie de l'accord sur le retrait de ses bases militaires de Géorgie, en mai 2005, et ensuite le respect scrupuleux du calendrier de retrait n'ont pas empêché une dégradation sensible à partir de décembre 2005 (…) Les Américains ont dû avoir le sentiment qu'ils avaient tout fait pour prévenir et qu'ils n'ont pas été entendus. Leur attitude s'explique aussi par les contraintes électorales intérieures ou internationales (Iran, Irak ou Afghanistan). Enfin, l'affaiblissement du président Bush et son incapacité à réagir en fin de mandat étaient connus de tous. Je ne suis donc pas déçue de l'absence de réaction militaire américaine, car je n'y ai jamais cru…

… L'Europe a-t-elle été à la hauteur? Je suis très impressionnée par la rapidité et l'efficacité de l'intervention diplomatique européenne… Je crois que la Géorgie ne mesure pas assez ce qu'elle doit aujourd'hui à l'Europe et combien, pour les semaines qui viennent, son destin va dépendre de la négociation et de la fermeté des positions européennes et américaines. Il est vital pour la Géorgie que cette jonction des efforts diplomatiques se fasse sans compétition ni surenchère pour produire des effets rapides…

Les Etats-Unis vont-ils tirer les leçons de leur défaite dans le Caucase? En tant que femme politique géorgienne préoccupée du sort immédiat de mes compatriotes, je peine à voir la logique de la décision américaine sur le déploiement du bouclier anti-missile en Pologne. Je peux comprendre qu'il y ait là un intérêt stratégique américain et que nos amis polonais soient inquiets. Mais le moment me paraît mal choisi, alors que la vie des habitants des régions géorgiennes les plus exposées n'est pas assurée. Toute décision qui exacerbe la brutalité des forces d'occupation russes me paraît être un acte insensible, qui ne peut qu'accroître le prix déjà élevé payé par la Géorgie pour d'autres résolutions - je pense bien sûr au Kosovo. »


Conclusions provisoires

L’affaire géorgienne signifie inéluctablement un affaiblissement à nouveau des USA du point de vue géopolitique. Les échecs relatifs antérieurs s’illustrent déjà par la pénétration modeste en Asie centrale et les infortunes militaires en Irak et en Afghanistan. Du reste, le monde doit s’habituer désormais à ce que la Russie retrouve progressivement sa position de grande puissance, qu’elle, l’UE et les USA se trouvent en face de l’avènement géopolitique de la Chine, et celui plus modeste de l’Inde dans l’arène internationale . Néanmoins, à fin du mois d’août 2008, le processus d'intégration de la Géorgie à l'OTAN a été lancé avec l'annonce à Bruxelles de la création d'une commission OTAN-Géorgie. Une atmosphère anti-russe de « guerre froide » se crée à l’initiative des milieux intéressés de part et d’autre de l’Atlantique. Par ailleurs, les autorités ossètes et abkhazes ont demandé, à la Russie de reconnaître leurs indépendances et de maintenir la présence militaire russe. Le président du Conseil de la Fédération, le Sénat russe, s'est dit « prêt » à les reconnaître et, apparemment, la présidence russe soutient ces initiatives.

Il n’en reste pas moins vrai que la résolution militaire des différends tels que le cas géorgien, implique des centaines, voire des milliers de morts, beaucoup de blessés et de réfugiés . Les grandes puissances n’en souffrent guère et ne font que tâter, tester la résistance ou les limites de l’autre. La Russie n’a subi que fort peu de sorties des capitaux pendant le conflit (NZZ, 19.8.2008). Les puissances moindres sont par ailleurs conduites à se repositionner constamment en fonction des rapports de force instables des « grands ». C’est le cas sans doute d’Israël, de la Syrie, de l’Ukraine ou de la Turquie, mais également des autres pays de la CEI environnants, sans compter les pays qui ne font qu’en encaisser les conséquences de ces repositionnements.

Il semble bien que la position turque soit plus qu’inconfortable. Jusqu’ici, la Turquie constitua un « pont » entre l’Asie centrale, voire la Caucasie méridionale et l’Europe méridionale, occidentale et centrale, notamment en matière de fourniture d’hydrocarbures. En même temps, elle entretient des relations excellentes avec la Russie dont elle s’approvisionne en gaz naturel par un gazoduc sous la mer Noire. Or, depuis quelques années, elle fournissait des armes à la Géorgie, formait des officiers géorgiens et assurait l’approvisionnement en électricité ce pays, trois activités que Moscou n’apprécie en général guère. Or, avec le conflit en Caucasie méridionale, elle a opté en faveur de la Géorgie ce qui mécontente la Russie. Sans doute, cette situation incite la Turquie à tourner encore davantage vers l’Iran, en promettant quelque € 3 milliards d’investissements dans les champs gaziers de ce dernier, malgré l’agacement évident de Washington (FT & NZZ, 16 à 21.8.2008).

Toutefois, pour sortir de sa position inconfortable, Ankara lance fin août 2008 une plateforme de coopération, en y invitant les trois pays de la Caucasie méridionale et la Russie. Cette initiative sécuriserait les conduites d’hydrocarbures à travers la Géorgie, crée un lieu de négociation russo-turc et contribue au rétablissement des relations turco arméniennes qui sont interrompues depuis le début des années 1990.

Quant à l’Ukraine, le pays reste divisé et, depuis le début du conflit russo-géorgien, même polarisé. Les figures de proue en sont le président dit proaméricain et la Première ministre devenue depuis peu prorusse. Le débat se focalise sur la base maritime en Ukraine de la flotte militaire russe à Sébastopol en Crimée et dont la présence est garantie jusqu’en 2017 : faut-il soulever la question de l’opportunité et de la continuité de cette collaboration russo-ukrainienne et, ainsi, attiser les tensions sous-jacentes entre Moscou et Kiev (NZZ, 22.8.2008) ?
Dans ce débat, la décision du président de vouloir contrôler les mouvements de bateaux de guerre russes me paraît inapplicable, l’Ukraine ne disposant pas la force nécessaire d’exécuter une pareille décision.
Enfin, dans une première hypothèse, la Russie pourrait contrôler toute ou partie de la Géorgie, alors que, dans une deuxième, le « statut quo ante » pourrait s’imposer mais induire aussi une union des Ossétie actuelles et l’incorporation progressive de l’Ossétie réunie à la Fédération de la Russie. On pourrait encore imaginer bien d’autres scénarios, notamment une neutralisation progressive de la Géorgie à la convenance des parties publiques et privées. Sans doute, les multinationales énergétiques russes (TNK-BP, Rosneft, RENOVA, ALFA, Gazprom, Lukoil, Sibir, Imperial Energy, etc.) en négociation avec leurs homologues euro américaines participeront désormais de l’exploitation des réseaux d’oléoducs et de gazoducs, existants ou à venir, de la région. Le projet euro américain Nabucco en tant que tel serait par contre mis en question avec le prétexte de risque accru (NZZ, 15.8.2008).

En cas de médiation de l’OSCE ou de l’ONU, il faudrait en tous les cas en exclure tant les USA que la Russie car les deux font parties du conflit ! Cette médiation pour être efficace doit exclure également tous moyens militaires. La médiation liée éventuellement à une sorte de neutralisation de la Géorgie impose la transparence et la justesse des accords sur l’hydrocarbure qui concernent la région caucasienne, par exemple dans le cadre de la plateforme proposée par la Turquie. Dans le cadre de la présidence de l’Union européenne, l’initiative française visant un cessez-le-feu local, ne peut qu’être applaudie, fait preuve d’une certaine indépendance et exige une continuation de l’effort européen !


Notes:

(1) Le caractère autoritaire du régime est devenu clairement visible en novembre 2007 lors des élections présidentielles dont la propreté a été fort discutée et qui s’accompagnaient des mesures répressives (FT, 29.7.2008).

(2) Le conflit entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie est gelé depuis la signature, le 14 juin 1992, des accords de Dagomys (en Russie) et l'introduction, dans la zone du conflit, de forces de paix constituées d'unités russes, géorgiennes et ossètes, en juillet 1992.
(3) Survols des territoires adverses par les drones, avions sans pilote, fournis par Israël tels que les survols opérés par la Géorgie sur les territoires russes ou ossètes.

(4) Il est parfaitement possible que Tbilissi ait pris tout seul la décision d’attaquer en espérant l’appui de Washington. Encore que la présence militaire américaine (armées + CIA + FBI) soit tellement importante, qu’il me paraît peu probable qu’au moins, certains milieux militaires, diplomatiques ou politiques des EUA n’aient pas approuvé la décision. Quoi qu’il en soit, Tbilissi a commis une erreur stratégique en pariant à la fois sur un soutien „occidental” inconditionnel et sur une absence de réaction russe. Or, Moscou ne pouvait manquer d'intervenir. D'abord pour défendre ses citoyens et ses soldats présents en Ossétie, sur mandat de la CEI. Ensuite pour éviter toute contagion vers la Caucasie septentrionale à stabilité précaire. Enfin pour préserver son influence dans une zone clé pour ses intérêts. Néanmoins, à la suite de l'intervention des troupes géorgiennes en Ossétie du Sud, Moscou s'est retrouvé dans une situation très délicate. La Russie a dû choisir entre devenir un traître aux yeux des Ossètes (non seulement du Sud, mais également des Ossètes du Nord, habitant une république faisant partie de la Fédération de Russie), ou un agresseur vis-à-vis de la Géorgie (car les troupes russes entrent sur le territoire géorgien sans avoir préalablement obtenu de mandat de l'ONU et engagent des hostilités contre l'armée géorgienne). Moscou a opté pour la deuxième variante.
(5) La protestation du ministre des affaires étrangères de la Suède de Carl Bildt qui affirme que « nul Etat n’a de droit d’intervenir militairement sur le territoire d’un autre Etat » est certes fondée. Cependant, elle n’a guère été développée pendant ces quinze dernières années lorsque l’OTAN bombarda la Serbie, les USA bombardèrent l’Irak, la France intervint en Afrique centrale, les USA envahirent l’Afghanistan et l’Irak, etc.

(6) Au moment de la mise à jour de la présente analyse, je prends connaissance de deux études parues à ce jours-ci :
DE NEVE, Alain & Tanguy STRUYE de SWIELANDE, Les enjeux de la guerre en Géorgie, in : La Libre Belgique, 14.8.2008 ; une excellente étude, sauf que j’ai des doutes quant à savoir si « pour les Etats-Unis, le principal enjeu est de freiner les avancées de la Russie vers le Caucase » ; la Russie est déjà et depuis des siècles au Caucase et les Etats-Unis poursuivent bien d’autres enjeux également ; FRANCIS, Céline, La Géorgie en guerre : les dessous du conflit actuel, Note d’analyse de GRIP, 13.8.2008 ; de la part de GRIP, on s’étonne de voir une analyse si unilatérale et si modestement documentée.

(7) Nino Burjanadze qui jusqu’il y a peu a été la présidente du Parlement grâce à son rôle dans le triumvirat qui a organisé le coup d’Etat en 2003 est la candidate la plus vraisemblable. Éliminé lui aussi par Sakachvili, Leven Gasheshiladze, l’homme d’affaire et l’ancien maire de Tbilissi, en serait un autre.

(8) En ce qui concerne ces deux dernier faits et à propos des intérêts proprement européens à défendre, l’ancien ambassadeur suisse en Russie et en Géorgie, Walter Fetscherin, fait remarquer que « Das brüskierende Vorgehen bei der Nato-Osterweiterung und der Stationierung von Abwehrsystemen in Osteuropa entgegen ursprünglichen Versprechungen ist ohnehin schon folgenreich genug » (Briefe an die NZZ, 21.8.2008).

(9) Entretien avec Salomé Zourabichvili, diplomate française d'origine géorgienne qui fut ministre des Affaires étrangères de Tbilissi jusqu’en 2005, in : Express, par Christian Makarian, 21.8.2008 ; « Point de vue : Géorgie, et maintenant ?, » par le même auteur, in : Le Monde, 21.8.2008.

GRAND JEU DANS LE CAUCASE

« Grand jeu » dans le Caucase : les manœuvres minables de l’oncle Sam

Conn Hallinan Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

L’histoire de ce que l’administration Bush mijote dans le Caucase commence à filtrer lentement, bien que la presse américaine ait surtout tenté de noyer le poisson. La récente guerre entre la Géorgie et la Russie n’était qu’un mouvement dans une partie d’échecs visant à bloquer les réserves en énergie de l’Asie centrale, à étendre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (l’Otan) jusqu’à la frontière méridionale, très vulnérable, de Moscou et à mettre un terme au contrôle par les Russes de la mer Noire. La Géorgie n’était qu’un pion – qu’on pouvait sacrifier, en plus –, dans ce jeu à grosses mises.

Alors que la Maison-Blanche et certains dirigeants de l’Union européenne présentent la récente guerre comme un conflit entre une Russie de plus en plus puissante se réaffirmant dans son ancien empire et une petite nation démocratique tentant de recouvrer deux de ses anciennes provinces, il n’empêche que cette façon de voir les choses s’effiloche quelque peu. Récemment, le président géorgien Mikheil Saakachvili a été condamné par le Bureau européen des institutions démocratiques et des droits de l’homme pour des agissements antidémocratiques et, qui plus est, une analyse récente de la guerre par l’Otan appuie l’accusation russe prétendant que c’est Tbilissi qui a déclenché toute l’affaire. Des manœuvres qui ont mené à la guerre, toutefois, il a été très peu question.
Peu après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, les États-Unis ont jeté leur dévolu sur le Kazakhstan, le plus riche producteur d’énergie de l’Asie centrale. Les compagnies pétrolières américaines, dont Chevron, se sont amenées pour tenter d’éloigner le Kazakhstan de ses principaux partenaires, la Chine et la Russie. Le président kazakh Noursoultan Nazarbaev fut alors fêté au cours d’une campagne visant à faire en sorte que le pays exporte son pétrole via l’oléoduc transcaucasien Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), mettant ainsi la Russie hors circuit et plaçant par la même occasion la jugulaire énergétique de la Chine dans les mains de l’Occident.
Les États-Unis exercèrent également d’intenses pressions sur l’Azerbaïdjan, riche en pétrole lui aussi. La Géorgie se trouvait sur l’échiquier du fait que le BTC traverse le sud de son territoire. Les États-Unis renforcèrent leur contrôle sur le pipeline en co-sponsorisant la « Révolution rose » qui allait mettre Saakachvili au pouvoir en 2003. Mais l’enjeu de toute cette partie allait au-delà du pétrole.
Voici environ dix ans, les États-Unis se mirent à exercer des pressions sur la Turquie, un de leurs partenaires de l’Otan, afin qu’elle modifie ou abroge un traité plutôt obscur appelé la convention de Montreux, un accord de 1936 conférant à la Turquie le droit d’empêcher le passage de navires de guerre par le détroit du Bosphore et celui des Dardanelles. La convention permettait à la Turquie et à la Russie de contrôler la mer Noire et d’empêcher toute puissance étrangère d’y entretenir une présence majeure. Les États-Unis, qui n’étaient pas partie prenante dans le traité original, insistèrent auprès de la Turquie pour qu’elle fasse de la mer Noire un lac de l’Otan. La Turquie est membre de l’Otan, à l’instar de la Bulgarie et de la Roumanie. Les États-Unis avaient déjà des bases militaires en Roumanie. Si l’administration Bush étaient parvenue à intégrer l’Ukraine et la Géorgie à l’Alliance, l’Otan aurait mis la flotte russe en échec à Sébastopol, lui coupant l’accès à la Méditerranée et l’isolant du Moyen-Orient.

Toutefois, les Américains livrent une partie d’échecs minable, et c’est particulièrement le cas, puisque certaines des pièces de son camp ont des agendas différents. Prenons la Turquie, par exemple. Non seulement, Ankara ne s’est pas montrée désireuse de liquider la convention de Montreux, mais elle a proposé un « pacte de stabilité et de coopération dans le Caucase », lequel laisserait l’Otan sur la touche en faveur d’un arrangement entre les puissances régionales. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a présenté la proposition à Moscou peu après la guerre.
« Le principal mérite de l’initiative turque », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, c’est qu’elle relève du « bon sens » et qu’elle présume que « les pays de la région devraient décider eux-mêmes de la conduite des affaires sur place ». Et Lavrov d’ajouter deux autres questions « régionales » susceptibles d’être traitées selon un cadre similaire : l’Irak et l’Iran. Le fait que la proposition turque ait pris les Américains par surprise constitue une indication sur la façon dont les États-Unis ne sont pas parvenus à comprendre à quel point le jeu des échecs est complexe dans cette région du monde. La Turquie est en effet un membre de l’Otan, mais elle doit également considérer ses propres intérêts nationaux.

Alors que le commerce turc avec la Géorgie vaut 1 milliard de dollars par an, il est d’environ 40 milliards avec la Russie. La Turquie reçoit également 70% de son gaz naturel de la Russie. La Turquie et la Russie ont longtemps dominé la mer Noire et toutes deux la considèrent comme capitale pour leurs intérêts, tant économiques que sécuritaires. Si les États-Unis positionnent de nombreux navires de guerre dans la zone, il n’y aura pas que les Russes qui perdront le contrôle de cette étendue d’eau.
Les Turcs ne sont pas non plus très désireux de modifier des traités internationaux comme la convention de Montreux. Le faire, écrit M.K. Bhadrakumar, diplomate de carrière au service indien des Affaires étrangères et ancien ambassadeur dans la région, « ouvrirait une boîte de Pandore. Cela pourrait très bien se muer en un pas vers la réouverture du traité de Lausanne de 1923, la pierre de touche sur laquelle l’État turc moderne émergea des débris de l’Empire ottoman ».

Selon M.K. Bhadrakumar, le plan américain prévoyait d’intégrer également le Kazakhstan à l’Otan. La frontière kazakho-russe est la plus longue frontière partagée par deux nations au monde. « Ce serait un cauchemar pour la sécurité russe si l’Otan devait prendre pied au Kazakhstan », ajoute-t-il.

En bref, ce que les États-Unis mijotent dans la région, c’est la version du 21e siècle du « Great Game », le « grand jeu », la rivalité qui poussa les puissances impériales du 19e siècle les unes contre les autres dans une tentative de contrôle de l’Asie centrale et du Moyen-Orient. La manoeuvre visant à encercler la Russie et à interdire à la Chine un accès à l’énergie fait partie de la « West Point Doctrine » de l’administration Bush, en 2002, une attitude stratégique visant à empêcher l’apparition de rivaux économiques Récemment, lorsque la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice déclara que la Russie était confrontée à un isolement international dans cette guerre contre la Géorgie, elle tentait en fait de se rassurer elle-même. Plutôt que d’être isolés, les Russes se sont fait des alliés des États mêmes dont les États-Unis auraient souhaité qu’ils rejoignent l’Otan et permettent de la sorte à cette dernière d’encercler un peu plus encore la Russie.

Au cours de la récente réunion de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) à Douchanbe, capitale du Tadjikistan, le président kazakh Noursoultan Nazarbaev a promis aux Russes qu’ils pouvaient compter sur le soutien du Kazakhstan. « Je suis étonné de ce que l’Occident a simplement ignoré le fait que ce sont les forces armées de Géorgie qui ont attaqué la paisible ville de Tskhinvali », a déclaré Nazarbaev. « Le Kazakhstan comprend toutes les mesures qui ont été prises [par la Russie] et les soutient. ».
l’Ouzbékistan. L’Azerbaïdjan, autre cible majeure des États-Unis, s’est tenu coi à propos de la guerre de Géorgie mais a annoncé qu’il allait réduire la quantité de pétrole et de gaz qu’il acheminait par les pipelines BTC et qu’il allait accroître ses transferts via la Russie et l’Iran. « Nous savions qu’il y avait un risque de tourmente politique en Géorgie, mais nous ne nous attendions pas à la guerre », a déclaré au Financial Times Elhar Nasirov, vice-président de la compagnie pétrolière de l’État azerbaïdjanais, la Socar. « Ce n’est pas une bonne idée de mettre tous ses œufs dans le même panier, surtout quand le panier est si fragile. »
Si, en même temps, le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan hésitent à utiliser le BTC, la chose pourrait non seulement faire capoter la stratégie américaine dans la région, mais le pipeline aussi.
Alors que l’Otan a tenté de monter un front uni en Géorgie, l’Alliance est profondément scindée entre les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne et les États de la Baltique, d’un côté, et la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, de l’autre. En partie, les réticences du dernier groupe à rallier la croisade de Washington contre Moscou reposent sur des questions d’intérêt propre. La Russie est un important partenaire commercial et elle fournit à l’Europe une bonne part de son énergie Mais un certain nombre de pays européens ont également de sérieux doutes à propos du chef d’État géorgien. Selon Der Spiegel, les sources de renseignements de l’Otan soutiennent le compte rendu russe de la guerre, et non celui de la Géorgie. « Cinq semaines après la guerre dans le Caucase, l’opinion se tourne contre le président géorgien Saakachvili », pouvait-on lire dans le numéro du journal daté du 15 septembre.
Ce glissement des sentiments s’est même exprimé quelque peu au Congrès américain, bien qu’il n’en ait pas encore été fait mention dans le moindre médium américain d’importance. S’adressant à la Commission sénatoriale des Services armés, la sénatrice Hillary Clinton a déclaré qu’il n’était pas « élégant » d’isoler la Russie à propos de la guerre et elle s’est empressée de demander : « Avons-nous poussé les Géorgiens d’une façon ou d’une autre ? » Clinton a invité une commission à examiner les origines de la guerre, répétant ainsi un appel similaire émanant des ministres européens des Affaires étrangères en réunion à Avignon, en France.
Lors d’une réunion de la commission intergouvernementale de l’Union européenne dans la cité balnéaire de Sochi, sur la mer Noire, le Premier ministre français Francois Fillon a déclaré qu’il était important de « renforcer le partenariat entre l’Union européenne et la Russie et entre la France et la Russie ».
Alors qu’un sondage Harris montre que certains Européens sont aujourd’hui « plus concernés » par la Russie qu’ils ne l’étaient avant la guerre, le même sondage montre que les États-Unis sont toujours considérés comme une « menace bien plus sérieuse pour la stabilité mondiale ». Le sondage indique aussi une opposition écrasante en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne et en Grande-Bretagne à une augmentation des dépenses militaires suite à la guerre de Géorgie. En effet, tout gouvernement qui insisterait en faveur d’une politique plus agressive à l’égard de la Russie ou qui céderait aux pressions de Washington en vue d’une augmentation des dépenses militaires, est susceptible de se voir écarté du pouvoir.

La guerre de Géorgie, à l’instar de la guerre en Irak, a été un désastre provoqué par une combinaison d’arrogance impériale et d’ignorance fondamentale. Les États-Unis se retrouvent aujourd’hui coincés dans une impasse militaire en Irak et en Afghanistan, ils sont de plus en plus isolés au Moyen-Orient et en Asie centrale et enlisés dans l’une des plus grandes catastrophes financières de leur histoire.

Échec.

Voilà comment les empires disparaissent.


Traduction: Jean Marie Flémal pour Investig'Action

HOLOCAUSTE EN IRAK

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Tribune libre


6 octobre 2008

Irak

Quand est-ce qu’un Holocauste n’est pas un Holocauste ?

BLUM William

Quand est-ce qu’un Holocauste n’est pas un Holocauste ? Lorsque les coupables le qualifient de Victoire.

Bien que "l’offensive" ait échoué en termes de politique, elle est devenue une victoire en termes de propagande. Il semblerait que les partisans de la guerre n’ont rien d’autre à nous offrir, alors ils en parlent, en parlent, et en parlent encore. Permettez-moi de vous parler de la réduction de la violence en Irak : son niveau actuel est tel que n’importe quelle autre société dans le monde trouverait la situation horrible et intolérable, y compris la société irakienne d’avant l’invasion et l’occupation US. Sans oublier que, grâce à cette merveilleuse petite guerre, plus de la moitié de la population en Irak est soit morte, estropiée, traumatisée, confinée dans des prisons étatsuniennes et irakiennes surpeuplées, réfugiées à l’intérieur du pays ou en exil.

Ainsi, le nombre de personnes disponibles pour tuer ou être tuées a été remarquablement réduit.

De plus, un nettoyage ethnique à grande échelle a été effectué dans le pays (un autre indicateur de progrés, n’est-ce pas ? (*)). Sunnites et Chiites vivent plus que jamais chacun dans leurs propres enclaves et on ne voit plus d’horribles communautés mixtes avec leurs mariages mixtes, la violence sectaire a donc baissé ; et le puissant mouvement du leader Chiite Muqtada al-Sadr a décrété un cessez-le-feu depuis de nombreux mois, sans rapport avec l’offensive. Et pour combler le tout, les soldats US, face aux nombreux "explosifs improvisés" au bord des routes, sortent de moins en moins de leurs casernes (de peur de mourir, par exemple), et donc la violence contre nos braves gars a baissé aussi. Et n’oubliez pas que toute la violence en Irak a commencé lorsque les insurgés ont attaqué les forces US...

Imaginez que si la totalité de la population irakienne agée de plus de 10 ans ait été tuée, estropiée, emprisonnée ou forcée à l’exile, il n’y aurait probablement plus de violence du tout. Voilà ce qui serait une véritable victoire.

On ne devrait permettre à aucun étasunien d’oublier que la société irakienne a été détruite. Les habitants de cette terre malheureuse ont tout perdu - leurs maisons, leurs écoles, les quartiers, leurs mosquées, leurs emplois, leurs carrières, leurs techniciens, leur système de santé, leur système juridique, les droits des femmes, leur tolérance religieuse, leur sécurité, leur passé, leur présent, leur avenir, leurs vies.

Mais heureusement, il leur reste l’offensive.

William BLUM

(*) en français dans le texte

Le site de William Blum www.killinghope.org

POUTINE, McCAIN ET OBAMA A PROPOS DE LA GEORGIE

Poutine, McCain et Obama à propos de la Géorgie

Titre original: Wag the dog

Eric Walberg Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

Une Ossétie indépendante était-elle inéluctable après le Kosovo ou s’agit-il d’une manœuvre électorale des Etats-Unis qui a mal tourné ?
Le président russe Vladimir Poutine a accordé une interview franche et directe de trente minutes en russe cette semaine sur CNN. Elle n’a pas été traduite ni largement diffusée dans les médias américains, ce qui est inadmissible.

Il y accuse le personnel militaire américain d’avoir été présent en Ossétie du Sud durant l’attaque et il y a débattu de sujets comme l’appartenance historique de l’Ossétie à l’empire russe ( depuis 1801) et du ressentiment profondément ancré des Ossètes vis-à-vis du chauvinisme géorgien, spécialement depuis la révolution russe d’octobre 1917 puis la déclaration d’indépendance de la Géorgie en 1990. Un parlementaire sud-ossète a d’ailleurs déjà mis sur le tapis la possibilité d’une éventuelle intégration de l’Ossétie du sud à la fédération de Russie.

Interpellé par CNN sur le point de savoir s’il cesserait de menacer ses voisins maintenant que la crise ossète était terminée, il a écarté cette question qualifiée de ridicule, affirmant qu’il appartenait plutôt aux Etats-Unis et à ses clients d’Europe de l’Est de mettre fin à leur harcèlement de la Russie. Ce sont les bases de missiles polonaises et tchèques ainsi que les prétentions ukrainienne et géorgienne à participer à l’encerclement nucléaire de la Russie qui contribuent à amener la Russie à se replier sur elle-même.
Les Russes voient ces bases comme les préliminaires d’un système beaucoup plus ambitieux qui achèverait de saper les fondements du système de dissuasion nucléaire russe déjà fortement érodé. « Pour la première fois dans l’histoire, et j’insiste là dessus, il y aura des forces nucléaires d’intervention US sur le continent Européen. Cela change complètement la structure du système de sécurité international. Évidemment, nous nous devons de répondre à cette situation, » a affirmé Poutine lors d’une conférence de presse donnée l’an dernier et qui n’a pas non plus été diffusée par les médias US.

Lundi, Sergei Lavrov, ministre des Affaires étrangères, a souligné les propos de Poutine, évoquant « les réalités d’un monde post-américain » et prévenant de ce que, « en l’absence d’un dialogue multilatéral raisonnable, les Russes se verraient contraints de réagir unilatéralement. ». L’incapacité de l’Europe à mettre sur pied un nouveau système de sécurité collective, ouvert à chacun et prenant en considération les intérêts de toutes les parties, est responsable de la crise géorgienne. Il a ajouté : « Le sentiment prévaut que l’OTAN a, à nouveau, besoin de lignes de front pour justifier son existence ».

Comme pour soutenir ces propos, l’armée russe a testé avec succès un missile nucléaire furtif Topol RS-12M à partir du centre spatial de Plesetsk

Certains analystes envisagent déjà que Poutine (OK Medvedev) veuille énucléer le site de missiles polonais. « Il n’aurait pas d’autre option. Le système envisagé intègre en effet l’ensemble de l’arsenal nucléaire US dans une unité opérationnelle à 115 miles à peine de la frontière russe. Cette situation ne diffère pas de celle créée par le plan de déploiement de missiles nucléaires par Kroutchev à Cuba en 1960, » écrit Mike Whitney dans Online Journal. À tout le moins, « il sera contraint de faire monter les enchères et d’envoyer ses avions survoler le site de construction. C’est le premier pas que doit logiquement franchir un dirigeant politique responsable avant de neutraliser le site. « Dès lors, si la seconde guerre froide s’emballe et que de tels évènements surviennent par la suite, que devons nous faire ? Serait-ce la Russie menaçant ou même envahissant ses voisins ou plutôt un avertissement justifié lancé aux US pour qu’ils mettent un terme à leurs tentatives d’amorcer une troisième guerre mondiale ? »

On ne peut exclure que toute cette comédie ne soit qu’une précoce « surprise d’octobre » dans la tradition électorale américaine où Reagan et Bush II sont passés maîtres.
Souvenons-nous de la manière dont les conseillers de Reagan orchestrèrent le report de la libération des otages US d’Iran en 1980 afin d’assurer leur succès électoral. Le président George W Bush prétendait avoir reçu une lettre soi-disant rédigée par Osama ben Laden quelques semaines avant les présidentielles de 2004, ce qui rappelait fort opportunément aux Américains qu’il était leur défenseur contre le terrorisme. Une telle hypothèse a inspiré le film « Wag the Dog » de 1998 où, quelques semaines avant les élections, un conseiller présidentiel avait engagé un producteur hollywoodien pour réaliser et commercialiser un film de guerre dans un pays de l’ancien bloc communiste (l’Albanie) afin d’assurer la réélection d’un candidat.

Dans la version reality show, il n’y a plus aucune discrétion lorsqu’un certain Randy Scheunemann, joue le rôle de médecin et conseiller d’un sénateur Mc.Cain, candidat républicain.
La firme de lobbying de Scheunemann, Orion Strategies, conseille la Lettonie depuis 2001 et, depuis peu, la Géorgie. La Géorgie espère suivre les traces de la Lettonie en intégrant l’OTAN et , pourquoi pas, l’Union Européenne. Elle a déjà versé 300.000 $ à Orion Strategies à cette fin.
Poutine a affirmé, dans son interview à CNN, que l’attaque des forces de paix russes par la Géorgie avait reçu le feu vert d’officiels américains dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles. Il a cité McCain, ami personnel du président Mikheil Saakashvili de Géorgie ainsi que Scheunemann, premier conseiller de McCain en politique étrangère, ou encore Joseph Wood, attaché de Cheney aux questions de sécurité nationale, qui se trouvait d’ailleurs en Géorgie peu de temps avant le début de la guerre. Ou encore les deux.

Mais Poutine est pris entre le marteau et l’enclume en cette année électorale américaine. Même s’il voit juste au sujet de Scheunemann, ce conseiller de McCain a son équivalent en la personne de Zbigniev Brzezinski, premier conseiller politique du sénateur Barack Obama qui, sans être un fanatique de Bush, se réjouit de la démarche russe pour protéger l’Ossétie. Ainsi, quoiqu’il advienne, les élections de novembre feront monter en puissance les risques d’une seconde guerre froide.

Est-ce que ce « Wag the Dog II » apportera des voix à McCain ? C’est loin d’être sûr vu son admiration pour un Bush déconsidéré, ses gaffes à répétition et son manque d’intelligence politique.

Néanmoins, la clef des élections US , le lobby Israélien, apprécie peu Brzezinski et pourrait torpiller la candidature d’Obama en dépit de son choix comme candidat à la vice-présidence du sénateur Joe Biden, sioniste autoproclamé. Il faut aussi se rappeler que Brzezinski était le conseiller en politiques étrangères de l’ex-président Jimmy Carter lorsque celui-ci força Israël à restituer le Sinaï à l’Egypte lors des accords de Camp David.

Et voici Scheunemann qui n’a pas de tels cadavres dans son armoire. Il est aussi un enthousiaste d’un remaniement du Proche-Orient qui vise à assurer la suprématie d’Israël. En tant que directeur du comité Chalabi pour la libération de l’Iraq, il a poussé à l’invasion de 2003. Mission accomplie, il s’est trouvé un nouveau prince de guerre à Tbilisi. Scheunemann fait partie de la douzaine de conseillers US et israéliens de ce président géorgien perturbateur.
Israêl a soutenu activement Saakashvili, anxieux de voir se concrétiser le projet de pipeline contournant la Russie. Le ministre géorgien de la défense, David Kezerashvili et le ministre de la réintégration, Temur Yakobashvili sont tous deux israéliens et ne sont revenus en Géorgie que pour entrer en politique.

Si le lobby Israélien a décidé d’opter pour la candidature de McCain et en a informé Scheunemann, cela pourrait expliquer le sentiment qu’a eu Saakashvili de recevoir le feu vert pour attaquer les forces de paix russes et les civils ossètes, faisant des centaines de morts, si pas les 1.500 déclarés par la Russie.

Quoi de mieux pour contraindre les deux candidats à poursuivre la politique de guerre et de mort initiée par Bush, juste au cas où, par hasard, le candidat Obama viendrait à surmonter tous les obstacles semés sur le parcours de ceux qui n’ont pas la confiance totale du « lobby ».
On ne peut reprocher à Obama d’essayer de leur plaire mais pas au point de se séparer de Brzezinski. Déjà, il a dû laisser tomber son projet de parler avec « l’ennemi » qui est représenté aujourd’hui au moins autant par la Russie que par l’Iran. Avec lui, l’Irak conservera ses bases US et l’Afghanistan absorbera les troupes qui quitteront l’Irak.

Quant à savoir si Washington réussira à faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN, cela dépendra plus de la Russie que de celui qui habitera la Maison-Blanche au cours des quatre prochaines années.

Tout cela nous ramène aux intrigues de Brzezinski comme conseiller du président Carter. Il se vante maintenant d’avoir, en organisant le financement US d’extrémistes islamistes comme ben Laden à partir de 1979, favorisé l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques et d’être ainsi responsable de l’effondrement de l’URSS. Cela ne l’a pourtant pas aidé à revenir au pouvoir avec Carter en 1980 mais cela n’a pas grande importance pour ces conseillers de l’ombre qui ne restent jamais sans travail dans les hautes sphères de la politique US. Ainsi, Scheunemann ne sera nullement affecté si son candidat souffre d’Alzheimer ou oublie de paraître lors de son inauguration en janvier prochain. Et si Obama l’emporte, il cèdera sa place à la Maison Blanche à Brzezinski et s’en ira conseiller d’autres dirigeants mondiaux tel l’infortuné président géorgien.

Il est fort probable que cette montée en puissance des tensions dans le Caucase soit intentionnelle. Elle a accéléré l’accord sur les missiles polonais et donné une mauvaise image de la Russie, encourageant du même coup ceux qui veulent insérer le pipeline Baku-Tbilisi-Ceyhan dans un réseau court-circuitant la Russie. Mais le pipeline géorgien a été fermé par BP durant le récent conflit et il est peu probable que les experts en réseaux et la torsion du nez de l’ours russe mettent la Russie à merci.

Cet épisode et l’évaluation ferme de Poutine a mis à plat le mal qui règne au cœur de la politique américaine et confirme l’impression générale que la Russie ne craint pas de se défendre.

Traduit par Oscar Grosjean pour Investig'action

TROIS ANS APRES KATRINA

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Trois ans après Katrina

Alors que républicains et démocrates se rassemblent et font la fête, toute une ville

cherche encore à se relever.

Jordan Flaherty Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer

Alors qu’une grande partie des médias focalisent leur attention sur les conventions et les colistiers, le troisième anniversaire de Katrina offre l’occasion d’examiner les résultats de la désastreuse politique des autorités du pays, de l’État et de la région sur la population de La Nouvelle-Orléans.
Plusieurs organisations ont sorti de solides rapports, la semaine dernière, examinant l’état actuel de la ville, alors que des militants locaux font des plans pour diffuser leur message à partir des rues.
Pour ceux qui n’ont entendu que des récits édifiants à propos du redressement de la ville, les faits sur le terrain rappellent avec insistance le désastre toujours en cours.

27 août 2008


Selon une étude réalisée par Policy Link, 81 % des personnes qui ont reçu des dons du Road Home financés au niveau fédéral et gérés par l’État, n’ont pas reçu assez pour couvrir leurs dommages. Les personnes ayant fait appel au Road Home ont reçu en moyenne 35.000 USD donc trop peu pour reconstruire leur maison. Et de plus les ménages afro-américains ont reçu presque 35 % de moins en moyenne.

Plus d’une résidence sur trois – soit plus de 70.000 – est demeurée vacante ou inhabitée, selon un rapport de la Banque de données de la Communauté du grand La Nouvelle-Orléans. Alors que les travailleurs du projet Make It Right de Brad Pitt travaillent sur les chapeaux de roues pour terminer les premières des rangées de maisons prévues dans le Lower Ninth Ward (Circonscription Neuf bas) particulièrement dévasté, le voisinage, lui, reste nettement à la traîne des autres quartiers en reconstruction, avec la réinstallation de seulement 11 % du nombre de ménages d’avant Katrina.
Le même rapport fait remarquer que, depuis la dévastation de la ville, les loyers ont augmenté de 46 % au moins (et de bien plus dans certains quartiers) alors que de nombreux services urbains restent très limités. Par exemple, 21 % seulement des bus des transports publics circulent.


Race et classe

Il n’y a pas que les radicaux qui parlent des divisions raciales et de classes à La Nouvelle-Orléans. Un sondage effectué par la Kaiser Family Foundation a découvert que 70 % des résidents estiment qu’ils sont divisés selon des critères de classe et/ou de race.
L’étude Kaiser a également constaté une unité parmi les habitants de la ville : ils sont unis en ce sens qu’ils se sentent oubliés du reste des États-Unis. Huit résidents sur dix ont déclaré que le gouvernement fédéral n’avait pas apporté assez d’aide. Presque deux tiers pensent que le public américain a en grande partie oublié ce qui s’était passé.

L’étude a relevé d’importants pourcentages de gens disant que leur situation personnelle s’était détériorée depuis. 53 % des résidents à bas revenus déclarent que leur situation financière est pire aujourd’hui qu’avant Katrina. Le pourcentage des résidents qui disent qu’on a diagnostiqué chez eux un grave trouble mental, telle la dépression, a triplé depuis 2006 .

Il y a un débat permanent sur le nombre exact de personnes qui vivent dans la nouvelle Nouvelle-Orléans. On ne disposera pas des chiffres définitifs avant le prochain recensement complet. Mais, l’an dernier, le bureau du recensement a estimé la population à 239.000 habitants. D’autres analystes, ainsi que le maire, C. Ray Nagin, évaluent la population à presque 100.000 de plus.
Lors de chaque évaluation, ce chiffre s’avère avoir stagné, alors que des chiffres légèrement optimistes estiment à 150.000 ou 200.000 (sur une population avoisinant le demi million) les résidents qui n’ont pas pu revenir.
La ville qui, naguère, comptait presque 70 % d’Afro-américains, en compte moins de 50 % aujourd’hui, estime-t-on. Et ce changement s’est reflété dans le virage opéré dans la politique électorale au niveau de l’État. Alors que les républicains ont perdu un peu partout à travers les États-Unis, le candidat de la Coalition chrétienne, Bobby Jindal, a été facilement élu au poste de gouverneur l’an dernier et, en ville, après des décennies de majorité noire au conseil municipal, c’est une majorité blanche qui siège aujourd’hui.


Une ardoise blanche ou un terrain funéraire ?

Une grande partie des changements, en ville, émanent d’une nouvelle couche de la population urbaine – planificateurs, architectes, développeurs de projets et autres réformateurs.
Nombre d’entre eux s’identifient comme des « YURPs » (Young Urban Rebuilding Professionals – Jeunes pros de la reconstruction urbaine) – dans leur travail en compagnie d’innombrables associations non marchandes, fondations et autres firmes à vocation commerciale. Certains ont décrit La Nouvelle-Orléans comme une vaste ardoise blanche sur laquelle ils peuvent traduire sous forme de projet puis mettre en pratique leurs idées de réforme, que ce soit dans les soins de santé, l’architecture, la planification urbaine ou l’enseignement. Cette vision du monde néglige une chose selon certains avocats : ce sont, parmi les gens qui vivaient là auparavant, ceux qui ont été les plus affectés par ces changements qui pourtant ont le moins à dire dans la façon dont on les traite. « Cela n’avait rien d’une ardoise blanche, c’était un cimetière », déclare le poète et éducateur Kalamu Ya Salaam. « Des gens ont perdu la vie et ils bâtissent juste au-dessus de leurs ossements. »

La grande majorité des nouveaux professionnels de La Nouvelle-Orléans est venue ici avec les meilleures intentions du monde, avec de l’amour pour cette ville et le désir d’aider à sa reconstruction. Toutefois, de nombreux militants critiquent ce qu’ils perçoivent comme des tentatives de faire pression sur la façon dont la communauté s’implique et comme une attitude paternaliste de la part d’une grande partie des nouveaux décideurs.

Par exemple, notre système d’éducation était en crise, avant Katrina, et il avait certainement besoin d’un changement révolutionnaire. Du changement, nous en avons eu à profusion : l’actuel système est, sous bien des aspects, méconnaissable, comparé au système d’il y a trois ans, mais cette révolution a été bien trop menée à partir de l’extérieur, avec très peu de participation des parents, des étudiants et de l’équipe du système scolaire néo-orléanai Peu de temps après l’évacuation de la ville, après le passage de Katrina, toute l’équipe du système scolaire fut virée. Puis, dans la foulée, les responsables de la gestion de l’enseignement choisirent de ne plus reconnaître l’union (syndicale) des enseignants et de ne plus négocier avec elle – il s’agissait de l’union la plus nombreuse et, sans doute, du plus important organe de pouvoir politique de la classe moyenne noire de la ville et depuis lors, le paysage scolaire a remarquablement changé – depuis les hautes instances jusqu’aux structures de prise de décision et aux installations scolaires. D’après Lance Hill, professeur à Tulane, « La Nouvelle-Orléans a connu un profond changement dans les hautes instances de gestion de l’enseignement et une réduction dramatique du contrôle des écoles par les parents et les contribuables locaux ».

Le système scolaire consistait naguère en 128 écoles, dont 124 contrôlées par le New Orleans School Board (Commission scolaire de La Nouvelle-Orléans). Aujourd’hui, d’après Hill, 88 ont ouvert leurs portes pour l’automne et « 50 d’entre elles sont des charter schools (écoles à la carte à gestion privatisée) dirigées par des comités autodésignés et aux mandats illimités ; 33 sont gérées par le département d’État de l’Éducation par l’entremise du Recovery School District (District scolaire du relèvement) et cinq seulement sont dirigées par la commission scolaire élue ».

« Il y a aujourd’hui 42 systèmes scolaires séparés en fonction à La Nouvelle-Orléans », poursuit Hill, avec leur propre « politique scolaire, y compris les critères professoraux, les programmes, les règles en matière de discipline, les conditions d’admission et les promotions sociales. Les écoles responsables vis-à-vis du public, c’est-à-dire où les parents ont la possibilité de remédier publiquement aux doléances, ne sont plus que cinq, soit 5,6 % du total ».

Plusieurs articles récents se montraient enthousiastes et admiratifs à l’égard du nouveau système scolaire, entre autres dans le New York Times et le New Orleans Times-Picayune. Pour les réformateurs scolaires, qui sont venus à La Nouvelle-Orléans dans le désir d’appliquer les changements qu’ils avaient imaginés, cela représente un rêve devenu réalité.
Ils ont le soutien des médias, des instances fédérales, de l’État et des autorités de la ville, en même temps qu’ils bénéficient d’un afflux massif de main-d’œuvre bon marché (jeune et idéaliste, en outre). L’association Teach for America (Un enseignement pour l’Amérique) a fourni 112 enseignants l’an dernier, elle s’est engagée à en fournir 250 cette année et 500 autres encore pour l’an prochain, alors que des millions dollars de fonds affluent de sources telles les fondations Gates et Walton.

Il ne fait pas de doute que certains étudiants et écoliers reçoivent une excellente éducation dans les nouveaux districts scolaires, mais des critiques s’inquiètent de ce que les étudiants qui ont été laissés pour compte soient précisément ceux qui ont le plus besoin d’aide – ceux qui n’ont personne pour les représenter ou pour chercher à les inscrire dans les meilleures écoles. Selon Kalamu Ya Salaam, de La Nouvelle-Orléans, et qui dirige un programme scolaire baptisé Students at the Center (étudiants au centre des préoccupations), les nouveaux systèmes représentent « une expérimentation dans la privatisation et tout ce que cela implique ».
« Il ne pleuvra pas sur la parade d’Obama », déclare Sess 4-5, star du hip-hop et militant qui vit à La Nouvelle-Orléans, « mais les gens, par ici, ont besoin que le monde comprenne que notre situation est toujours tragique. Les loyers ont triplé, le système des soins de santé est un désastre, nous avons moins d’accès à l’enseignement pour nos enfants. La classe ouvrière et les pauvres sont de plus en plus exploités alors qu’au sommet, tout le monde s’engraisse sur notre misère. »

« Nous pensons que le 29 août devrait être un jour sacré, pas un jour où l’on vaque à ses affaires comme à l’accoutumée », explique Sess, qui est en même temps l’un des organisateurs de la Marche de commémoration de Katrina, qui démarrera vendredi au matin, à Lower Ninth Ward, et qui se rendra jusqu’au 7th Ward.
Cette marche est l’une des deux commémorations militantes de la ville, l’autre partant de la vile haute, à proximité du projet BW Cooper, l’un des principaux projets de logement obtenus de haute lutte cette année. « Le maire a annoncé au monde entier que La Nouvelle-Orléans était ‘ouverte au monde des affaires’ mais nous sommes ici pour vous dire qu’elle est fermée aux familles », déclare une ancienne habitante des logements publics, Barbara Jackson, qui participera à la manifestation à BW Cooper, baptisée « Journée sankofa (1) de la commémoration ». « Cinq mille logements démolis. Huit mille nouveaux lits de prison. Voilà exactement le plan de relèvement qu’ils ont concocté pour nous. »

Descendre dans la rue n’est pas le seul point au programme des militants locaux. À La Nouvelle-Orléans, les gens se sont organisés à la base, oeuvrant ensemble à construire un mouvement. Dans le sillage du Forum social américain de l’an dernier, à Atlanta, une large coalition d’organisations en faveur de la justice sociale a décidé de se réunir chaque mois en vue de combiner les efforts. Le groupe, baptisé « the Organizers Roundtable » (table ronde des organisateurs), est un important lieu de rassemblement pour les collaborations et la mise sur pied communautaire.

C’est la communauté, et non les fondations ou le gouvernement, qui a dirigé ce relèvement de la ville à partir de la base. Bayou Road – une rue du 7th Ward de La Nouvelle-Orléans regroupant nombre de commerces aux mains des noirs et tournés vers la communauté – s’est reconstruite après Katrina et compte aujourd’hui plus de commerces qu’avant la catastrophe. Ce n’est pas l’aide du gouvernement qui a permis à ces petits commerces de revenir, mais les efforts conjoints des membres de la communauté.

C’est aussi le soutien local qui a amené les gens à s’affilier de nouveau aux nombreuses organisations culturelles, comme le réseau des Social Aid and Pleasure Clubs (Clubs d’aide sociale et de loisirs), les institutions noires vieilles d’un siècle qui organisent des parades locales presque chaque week-end tout au long de l’année ou des collectes pour des causes telles les fournitures scolaires des étudiants et écoliers.

Sur le plan national, le Right to the City alliance (RTTC – Droit à l’alliance en ville), une coalition d’organisations qui s’intéresse aux problèmes urbains comme les soins de santé, la justice pénale et l’éducation, considère la continuité de la crise le long du golfe du Mexique comme la préoccupation première de son travail et qualifie La Nouvelle-Orléans et ses environs de « lignes de front dans la lutte contre le déplacement des populations et l’embourgeoisement des États-Unis ». Il sponsorise lui aussi la marche de La Nouvelle-Orléans, de même que des actions devant avoir lieu dans sept autres villes : Los Angeles, New York City, Oakland, Providence, San Francisco, Washington, D.C. et Miami.

Le travail du RTTC mérite une mention spéciale en tant que coalition qui a œuvré à soutenir les luttes des habitants de La Nouvelle-Orléans et à intégrer ce combat et la solidarité dans leurs propres communautés, tout en se faisant guider par les avis de la base. En ces temps de compétition effrénée entre les visionnaires qui se battent pour remodeler la ville, la volonté d’écouter les gens dont les vies ont été bouleversées et de rendre ce combat et ses leçons aux communautés concernées, peut constituer le changement radical dont La Nouvelle-Orléans a le plus besoin.
Jordan Flaherty est un journaliste dont le point d’attache est La Nouvelle-Orléans. Il est éditeur responsable de Left Turn Magazine . Il a été le premier auteur à donner une audience nationale à l’histoire des Six de Jena et ses reportages sur La Nouvelle-Orléans après Katrina ont été publiés et diffusés dans nombres de médias, y compris Die Zeit (le journal d’Europe au tirage le plus élevé), Al-Jazeera, TeleSur et Democracy Now.

Note :

(1) Le mot « sankofa » est dérivé des mots akan (d’une famille ethnique vivant au Ghana et en Côte d’Ivoire) « san » (retour), « ko » (aller, avancer) et « fa » (regarder, chercher et prendre).
Il symbolise la quête de savoir des Akan, laquelle s’appuie sur un examen critique et une recherche intelligente et patiente. (NdT)


Traduit de l’américain par Jean-Marie Flémal pour Investig’action.
Source: http://www.leftturn.org

LETTRE OUVERTE D´EVO MORALES PRESIDENT DE LA BOLIVIE

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Tribune libre

15 juin 2008

Lettre ouverte d’Evo Morales, président de la Bolivie, à propos de la "directive retour" de l’Union Européenne


MORALES Evo

Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondial, l’Europe fut un continent d’émigrants. Des dizaines de millions d’européens partirent aux Amériques pour coloniser, échapper aux famines, aux crises financières, aux guerres ou aux totalitarismes européens et à la persécution des minorités ethniques. Aujourd’hui, je suis avec préoccupation le processus de la dite « directive retour ». Le texte, validé le 5 juin dernier par les ministres de l’intérieur des 27 pays de l’Union Européenne, doit être voté le 18 juin au Parlement Européen. Je sens que se durcissent de manière drastique les conditions de détention et d’expulsion des migrants sans papier, quelle que soient leur temps de permanence dans les pays européens, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et leurs efforts d’intégration.

Les européens arrivèrent massivement en Amérique Latine et aux États-Unis, sans visas ni conditions imposées par les autorités. Ils furent toujours bienvenus et continuent de l’être dans nos pays du continent américain, qui alors absorbèrent la misère économique européenne et ses crises politiques. Ils vinrent sur notre continent pour exploiter les richesses et les transférer en Europe, avec un coût très élevé pour les populations indigènes d’Amérique. Comme c’est le cas de notre Cerro Rico de Potosi et de ses fabuleuses mines d’argent qui ont apporté la masse monétaire au continent européen du XVIème au XIXème siècle. Les personnes, les biens et les droits des migrants européens furent toujours respectés.

Aujourd’hui, l’Union Européenne est la destination principale des migrants du monde, conséquence de son image positive d’espace de prospérité et de libertés publiques. L’immense majorité des migrants va a l’UE pour contribuer à cette prospérité, et non pour en profiter. Ils occupent des postes dans les travaux publics, la construction, les services aux personnes et les hôpitaux, postes que ne peuvent ou ne veulent pas occuper les européens. Ils contribuent au dynamisme démographique du continent européen, à maintenir la relation entre actifs et inactifs que rendent possible vos généreux systèmes de sécurité sociale et ils dynamisent le marché interne et la cohésion sociale. Les migrants offrent une solution aux problèmes démographiques et financiers de l’UE.

Pour nous, nos migrants représentent l’aide au développement que les européens ne nous donnent pas –en effet, peu de pays atteignent réellement l’objectif minimum de 0.7 % de leur PIB pour l’aide au développement. L’Amérique Latine a reçu, en 2006, 68 000 millions de dollars de transferts de fonds, soit plus que le total des investissements étrangers dans nos pays. Au niveau mondial, ils atteignent 300 000 millions de dollars, dépassant les 104 000 millions accordés pour l’aide au développement. Mon propre pays, la Bolivie, reçoit plus de 10% du PIB en transferts (1 100 millions de dollars) ou un tiers de nos exportations annuelles de gaz naturel.

Cela signifie que les flux migratoires sont bénéfiques autant pour les Européens que pour nous autres du Tiers Monde, bien que de manière marginale puisque nous perdons également des contingents de main d’œuvre qualifiés qui se comptent par millions, et pour lesquels, d’une manière ou d’une autre, nos États, bien que pauvres, ont investi des ressources humaines et financières.

Lamentablement, le projet de « directive retour » complique terriblement cette réalité. Si nous concevons que chaque État ou groupe d’États peut définir ses politiques migratoires en toute souveraineté, nous ne pouvons accepter que les droits fondamentaux des personnes soient niés à nos compatriotes et frères latino-américains. La « directive retour » prévoit la possibilité d’un emprisonnement des migrants sans papier allant jusqu’à 18 mois avant leur expulsion – ou « éloignement », selon les termes de la directive. 18 mois ! Sans jugement ni justice ! Tel qu’il est aujourd’hui, le projet de texte de la directive viole clairement les articles 2, 3, 5, 6, 7, 8, et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. En particulier l’article 13 de la Déclaration annonce :

« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

Et, le pire de tout, il existe la possibilité d’emprisonner des mères de familles et des mineurs, sans tenir compte de leur situation familiale ou scolaire, dans des centres d’internement où nous savons que les dépressions, les grèves de la faim et les suicides existent. Comment peut-on accepter sans réagir que soient concentrés dans des camps des compatriotes et frères latino-américains sans papier qui, pour une immense majorité ont passé des années à travailler et à s’intégrer ? De quel côté est aujourd’hui le devoir d’ingérence humanitaire ? Où est la « liberté de circuler », la protection contre l’emprisonnement arbitraire ?

Parallèlement, l’Union Européenne essaie de convaincre la Communauté Andine des Nations (Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou) de signer un « Accord d’Association » qui comprend en troisième pilier, un Traité de Libre Commerce, de la même nature et contenu que ceux qu’imposent les États-Unis. Nous subissons une intense pression de la part de la Commission Européenne pour accepter des conditions de profonde libéralisation pour le commerce, les services financiers, la propriété intellectuelle ou nos services publiques. De plus, au nom de la protection juridique, nous subissons des pressions à propos des processus de nationalisation de l’eau, du gaz et des télécommunications réalisés à l’occasion de la Journée Internationale des Travailleurs (1er mai - NDT). Je demande, dans ce cas, où est la « sécurité juridique » pour nos femmes, adolescents, enfants et travailleurs qui cherchent de meilleurs horizons en Europe ?

Promouvoir la libre circulation de marchandises et des finances, alors qu’en face nous assistons à l’emprisonnement sans procès pour nos frères qui essaient de circuler librement, c’est nier les fondements de la liberté et des droits démocratiques.

Dans ces conditions, si cette « directive retour » est approuvée, nous serions dans l’impossibilité éthique d’approfondir les négociations avec l’Union Européenne et nous nous réservons le droit de mettre en place pour les citoyens européens les mêmes obligations de visa imposées au Boliviens depuis le 1er avril 2007, selon le principe de réciprocité diplomatique. Nous ne l’avons pas exercé jusqu’à ce jour, justement dans l’espoir de voir de bon signaux de la part de l’UE.

Le monde, ses continents, ses océans et ses pôles, vivent d’importantes difficultés globales : le réchauffement climatique, la pollution, la disparition lente mais certaine des ressources énergétiques et de la biodiversité tandis qu’augmentent la faim et la pauvreté dans les pays, fragilisant nos sociétés. Faire des migrants, qu’ils soient avec ou sans papier, les boucs émissaires de ces problèmes globaux, n’est pas une solution. Cela ne correspond à aucune réalité. Les problèmes de cohésion sociale dont souffre l’Europe ne sont pas la faute des migrants, mais le résultat du modèle de développement imposé par le Nord, qui détruit la planète et démembre les sociétés des hommes.

Au nom du peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent, de régions du monde telles que le Maghreb, de l’Asie et des pays d’Afrique, je lance un appel à la conscience des liders et des députés européens, des peuples, citoyens et activistes d’Europe, pour que le texte de la « directive retour » ne soit pas approuvé.

Telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est une directive de la honte. J’appelle également l’Union Européenne à élaborer, dans les mois prochains, une politique migratoire respectueuse des droits humains qui permette de maintenir ce dynamisme profitable à nos deux continents et qui répare une fois pour toute la terrible dette historique, économique et écologique qu’ont les pays d’Europe envers une grande partie du Tiers Monde, qui referme une fois pour toute les veines toujours ouvertes de l’Amérique Latine. Vous ne pouvez rater aujourd’hui vos « politiques d’intégration » comme vous avez échoué avec votre prétendue « mission civilisatrice » du temps des colonies.

Recevez, chers tous, autorités, euro parlementaires, camarades, un fraternel salut depuis la Bolivie. Et en particulier, notre solidarité envers tous les « clandestins ».

Evo Morales Ayma
Président de la République de Bolivie

Traduction : Perrine Escoriguel

Cette lettre du président Evo Morales est traduite dans de nombreuses langues par les traducteurs de Tlaxcala. Prière de la diffuser.

Italien (Manuela Vittorelli) : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?refer...

Anglais (Machetera) : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?refer...

text original